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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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28 février 2014

Merci pour la langouste !

Classé dans : Histoire, Langue, Littérature, Musique, Médias — Miklos @ 21:27


Xavier Sager (1881-1969) : Merci pour la langouste.
Cliquer pour une première explication…

«— Quelle langouste ? Où as-tu vu une langouste ? Qu’est-ce que c’est encore que cette langouste ?…

Cela avait échappé à Fanette ; dans le grand salon de Plainval, appuyée contre la vitre, à regarder la pluie tomber — et ce qu’elle tombait, la pluie, depuis le matin, une de ces pluies d’orage, lourdes et persistantes, qui semblent inventées tout exprès pour dégoûter les gens de la campagne, et qui tambourinent la rentrée, comme un vrai tambour de collège — Fanette venait de s’écrier tout à coup, fort inconsidérément, certes, devant une reprise soudaine et plus violente encore de la rafale et du vent en tempête, Fanette venait de s’écrier : « Merci pour la langouste !… » sans songer que sa tante était là, qui travaillait auprès d’elle à ses fameux tricots de laine grise pour les enfants pauvres…

Fanette a eu beau expliquer, en s’excusant, que cela ne voulait absolument rien dire, que c’était une de ces expressions vides de sens que l’on s’en va répétant sans savoir pourquoi :

— Une jeune fille bien élevée doit toujours savoir ce qu’elle dit et peser ses paroles !… a déclaré sèchement la tante de Valentine.

Et ombrageuse et soupçonneuse, « Mademoiselle » s’est replongée dans son tricotage, mais sa pensée demeurait ailleurs : l’« explication » de Fanette ne la satisfait pas, on ne lui enlèvera pas de l’idée que cette mystérieuse langouste doit cacher encore quelque impertinence — mais pourquoi une langouste et quelle langouste ?…

Cependant l’heure du déjeuner approchait. « Mademoiselle » est allée faire son tour aux cuisines, car elle se flatte d’avoir l’œil à tout et de conserver le culte et le souci de ses devoirs de maîtresse de maison. Et voilà qu’elle a poussé la porte de l’office, juste à temps pour surprendre Célina, la femme de chambre de sa nièce, qui répliquait vertement au chauffeur — quoi encore, je vous le donne en mille :

— Merci pour la langouste !…

Cette fois, cela devenait grave ; sans une observation, très digne, Mademoiselle a refermé la porte, rebroussé chemin et est montée tout droit, dans la bibliothèque où le père de Valentine, chaque matin, a accoutumé de lire ses journaux en dégustant une première pipe :

— Vous êtes là, Adolphe, je ne vous dérange pas ?..

On dérange toujours le père de Valentine, quand il fume sa pipe ; mais, évidemment, pour que Mademoiselle se soit risquée à le « relancer » jusque-là, il faut qu’il se passe quelque chose de grave ; d’ailleurs, la physionomie bouleversée de Mademoiselle indique assez que quelque chose de grave se passe, en effet, et c’est d’une voix dont elle a peine à comprimer toute l’émotion qu’elle a demandé :

— Dites-moi, Adolphe, très sérieusement, êtes-vous au courant d’une certaine histoire de langouste, à laquelle tout le monde, ici, affecte de faire des allusions devant moi, et sur laquelle tout le monde, même les domestiques, semble renseigné, excepté moi ?…

— Qu’est-ce que vous me chantez, ma bonne amie, avec votre langouste, et votre histoire de langouste ?

Et le père de Valentine, parce que, sans doute, à la lettre, « les bras lui en tombaient », a posé sa pipe sur la table, pour que la pipe, du moins, ne tombât point… Mademoiselle avait repris sa mine pincée :

— Enfin, vous n’allez pas prétendre comme votre fille que « Merci pour la langouste !… » cela ne signifie rien, cela ne fait allusion à rien ?…

Mais le père de Valentine a éclaté de rire et, plein de bonhomie :

— Eh bien ! ma bonne amie, si c’est tout ce qui vous préoccupe, merci pour la langouste et allons déjeuner !…

Cependant, à peine assise .dans la salle à manger, une nouvelle angoisse attendait Mademoiselle ; c’est un télégramme qu’on venait d’apporter, et vous savez que la tante et la nièce, par une touchante tradition de famille, ont toutes les deux le même prénom — ce prénom de Valentine, que Valentine junior a trouvé le moyen de transformer en « Fanette » — « parce que, Valentine, n’est-ce pas, ça fait songer tout de suite à térébenthine et à valétudinaire…. »

Le télégramme était pour la nièce, mais, naturellement, on l’a remis d’abord à la tante, et c’est elle qui a déchiffré la phrase sibylline qu’il contenait, sans plus ;

« Merci pour la langouste ! »

— Oh ! pardon, ma tante !… Je parie que c’est une plaisanterie à mon adresse, du jeune Laussel !… Dis donc, papa, il se forme, le jeune Laussel, il se débrouille !…

— Oui, c’est une éducation qui te fait honneur. À la rentrée, je te donnerai une classe d’auditeurs à la Cour des Comptes !…

Mademoiselle juge, à l’ordinaire, déplorables et profondément déplacés ces badinages entre le père et la fille.

Mais, aujourd’hui, elle est toute à la langouste : pourquoi leur voisin, le jeune Laussel, exprime-t-il télégraphiquement ses remerciements d’une langouste, alors qu’après la battue de l’autre semaine, il avait remporté de Plainval, non pas une langouste, voyons, mais une bourriche de gibier !…

La dernière langouste qu’on a vue — et mangée — à Plainval, c’était vendredi dernier, dans l’envoi qu’avait fait le marchand de poissons de Boulogne, comme chaque vendredi…

Mademoiselle cherche vainement à se rappeler si cette langouste présentait quelque particularité extraordinaire : mais non, c’était une langouste comme toutes les autres langoustes et qu’on a mangée comme tant d’autres langoustes…

Et, pour un peu, Mademoiselle regretterait presque que le marchand de poissons de Boulogne n’ait pas, ce jour-là, manqué à ses engagements et trahi sa confiance, en expédiant une langouste détestable et sans fraîcheur : « Merci pour la langouste ! » emprunterait alors à cette circonstance fâcheuse, un sens ironique sans doute, mais un sens… .

Tout, plutôt que cette énigme, plutôt que ce mystère irritant !…

Après déjeuner, pour se changer les idées, Mademoiselle a décidé d’aller jusqu’au village porter, dans les familles auxquelles elle s’intéresse, les tricots de laine grise achevés dans la matinée ; car Mademoiselle fait du bien, ce n’est pas douteux; elle le fait peut-être avec quelque ostentation, et n’est pas indifférente à ce titre de « Providence de Plainval » qu’aux jours de grande cérémonie, M. le curé, en chaire, ne manque jamais à lui décerner : mais l’important n’est-il pas, moins de faire le bien simplement si possible, que, d’abord, on le fasse ?…

Sur le seuil de la pauvre maison où Mademoiselle s’est arrêtée avec Fanette, il y avait une ribambelle de jeunes polissons de deux à huit ans, dont les bonnes grosses joues témoignaient suffisamment et joyeusement que les pot-au-feu offerts chaque semaine par Mademoiselle sont d’une qualité efficace et qu’ils ne sont pas perdus.

— Qu’est-ce qu’on dit ? a demandé Fanette à l’un de ces mioches, à qui Mademoiselle venait d’essayer un de ses tricots pour aller à l’école — qu’est-ce qu’on dit ?

Et Fanette lui souffle gentiment :

— On dit… merci…

— Merci pour la langouste !… prononce une petite voix perçante et claire…

— Croyez-vous qu’il a « envoyé » ça, ma tante !… admire Fanette, d’abord un peu décontenancée, puis, tout de suite ravie ; et nous sommes à quatre-vingts kilomètres de Paris !… Mais on voit, au moins, que nos domestiques font bon ménage avec les gens du pays, et que ceux-ci s’instruisent à leur contact, et en profitent — même les enfants !…

Mais Mademoiselle l’a moins bien pris :

— On leur donne des pot-au-feu et ils réclament des langoustes !… Ils apprennent à leurs enfants à vous dire merci — ironiquement ! — pour la langouste, parce qu’on ne leur donne que du pot-au-feu !…

Et rouge elle-même comme une langouste — une langouste cuite, bien entendu ! — la tante de Valentine a entraîné sa nièce, loin des enfants tout penauds, qu’elle traitait maintenant de « graine de socialistes », »en répétant avec de grands gestes :

— Des langoustes, il leur faudrait des langoustes !… Quelle époque !…

Franc-Nohain, « Merci pour la langouste ! », in Les Vacances de Valentine, août-septembre 1913.

«C’est le petit jeu de cette fin de septembre. Les Parisiens qui se rencontrent, revenus à Paris trop tôt, et malgré eux, s’en amusent un moment.

— Merci pour la langouste.

On jette la phrase au moment où l’on quitte l’ami qu’on n’a pas vu depuis la fin de juillet, et qui a passé, bien sûr, quelque temps à la mer.

— Et puis… Merci pour la langouste.

En entendant ces mots, le remercié devient songeur : A-t-il vraiment envoyé une langouste ? Il ne s’en souvient pas… Peut-être, après tout… Ou bien, est-ce une ironie, un reproche ?… Avait-il promis d’adresser une langouste ?… A-t-il commis quelque impoli- tesse ?…

La plaisanterie déjà commence à être connue, mais la formule est bonne »et termine bien un entretien :

— Au revoir !… Merci pour la langouste.

Un bon titre de revue pour cet hiver.

Le Figaro, 26 septembre 1913.

«Vous recevez une carte postale : qu’y lisez-vous ? Un ami vous quitte : que vous dit-il en s’en allant ? On vous appelle au téléphone : que vous lance la voix lointaine ? Cette petite phrase :

— Merci pour la langouste !

C’est le cri du jour : ce sera même la plaisanterie de cet hiver.

Gavroches, académiciens, diplomates, petites femmes, gens du monde, citoyens conscients, nationalistes intégraux, radicaux, progressistes, blocards, papistes, nous nous dirons tous les uns aux autres, avec le même rire bon enfant :

— Merci pour la langouste !

La voilà bien, la vraie formule de la réconciliation nationale !… Car nous sommes tous égaux devant ces blagues parisiennes, que ce soit « As-tu vu la ferme ? », « Non, mais chez qui ? », « Et ta sœur ? », « Au revoir et merci ! » ou « En voulez-vous, des homards ? » — les crustacés inspirant décidément les inventeurs de locutions populaires.

Ces scies bien parisiennes ne sont d’ailleurs pas inutiles. Elles sont même assez précieuses. Grâce à elles, on peut refuser, s’esquiver, s’abstenir avec bonne humeur. Selon le ton, le geste, le sourire, elles ont mille significations différentes elles découragent le raseur, éloignent l’importun, déconcertent le mufle, piquent au vif l’indiscret ; elles ont remplacé la grossièreté du goujat autant que l’insolente pirouette du marquis… Et sans doute, si »M. Poincaré n’était point tenu à un langage plus sévère, il eût simplement dit au roi de Grèce :

— Merci pour la langouste ! — Clément Vautel.

Le Matin, 28 septembre 1913

«Diverses périodes de la bêtise parisienne qui, autant que l’esprit, court les rues de la capitale, ont été caractérisées par des scies dont on ignorera toujours l’origine : « As-tu vu Lambert ! En voulez-vous, des z’homards ! La ferme ! On dirait du veau ! » etc, etc.

Le trait de stupidité qui sévit en ce moment consiste à dire sans raison aucune, à quelqu’un qui ne s’y attend pas : « Merci pour la langouste. »

Quelle langouste ? Vous ne comprenez pas, puisque vous n’avez pas envoyé de langouste, et c’est votre »étonnement, qui donne du sel (du sel…pour la langouste !… charmant !) à cette idiote plaisanterie !!!

La Croix, 30 septembre 1913.

«On disait naguère quand on n’avait rien à se dire : « En voulez-vous des z’homards ? » — « T’en as un œil ! » — « La ferme ! » — « On dirait du veau ! » etc. Il parait qu’on dit maintenant : « Merci pour la langouste ! » »Pourquoi ? Nul ne le sait. Mais les mots n’ont pas besoin d’avoir de sens pour faire fortune. Celui-là est déjà riche.

Le Temps, 30 septembre 1913.

«À propos de cette scie stupide, un de nos confrères donne une explication qui a, au moins, le mérite d’être amusante :

« Une origine possible de Merci pour la langouste peut se trouver dans le goût particulier, et après tout compréhensible (en tant que goût), que les employés des diverses Compagnies de chemin» de fer professent pour ce crustacé. Combien de personnes habitant Paris ou ailleurs ont l’agréable surprise de se voir annoncer l’envoi d’une langouste par des amis en villégiature, et ensuite l’amère déception de recevoir un panier contenant des échantillons sans valeur, ou de ne rien recevoir du tout !… Une statistique qui serait établie par les Compagnie sur les réclamations annuelles issues de ces petits exercices de prestidigitation serait certainement impressionnante. »

De là les remerciements ironiques adresses »aux expéditeurs, qui n’en peuvent mais. Ainsi, « Merci pour la langouste » serait une scie montée par des cheminots humoristes et ceux-ci, du moins, ont des raisons pour la trouver drôle.

La Croix, 9 octobre 1913.

«À la Cigale. — « Merci pour la langouste ! »

Rarement on vit spectacle plus amusant que la nouvelle revue de la Cigale, Merci pour la langouste ! de MM. Lucien Boyer et Battaille-Henri. C’est une succession ininterrompue de scènes comiques au cours desquelles les actualités sont accommodées à la sauce la plus piquante. Aussi Tout-Paris défilera-t-il longtemps chez M. Raphaël Flateau pour applaudir cette revue, montée avec un art et un luxe qui ont fait l’admiration des spectateurs le soir de la première. D’un bout à l’autre de leurs dix-huit tableaux, MM. Lucien Bayer et Battaille-Henri ont dépensé l’esprit sans compter, comme des hommes qui en ont à revendre. Et M. Lucien Boyer ajoute ces largesses d’heureuses improvisations dans le rôle du compère, dont il a personnellement assumé la charge.

M. Raphaël Flateau ne pouvait donner à une telle revue une interprétation banale. Il a donc engagé pour la jouer de nombreuses étoiles. Citons notamment Mlle Jane Pierly, qui a pris une des meilleures places parmi les divettes contemporaines, grâce à un talent qui passe du tragique à la folle gaieté avec une souplesse vraiment remarquable ; l’inénarrable Lavigne, du Palais-Royal, dont les silhouettes forcent le rire la charmante danseuse Esmée, si délicieusement artiste et personnelle ; les comiques Milton, d’une rare originalité, dont les effets sont d’une incontestable puissance ; Fred Pascal, qui dit et danse avec un égal mérite ; Saidreau, Senga, Thomas ; la fine commère Maud Avril et cette exquise Renée Baltha, dont la jolie voix et le sourire si parisien répandent le charme et la gaieté. Complimentons aussi Léo Massart pour sa mise en scène, Eugénio pour ses danses, José pour sa musique.

La conclusion de tout cela, c’est que la Cigale tient avec Merci pour la langouste ! »un gros succès oui va récompenser bien des efforts vers ce but rarement atteint : amuser les gens qui passent et recommencer le lendemain !… — Addé.

Le Gaulois, 16 décembre 1913.

Scala, tous les soirs, Fragson. [Piano] A. Bord, Paris : [affiche] / [non identifié]«Fragson, dont les quotidiens nous annoncé, il y a quelques jours, la fin tragiqueIl est tué par son père le 30 décembre 1913, était l’auteur de la scie fameuse « Merci pour la langouste ! » Du moins, il l’a raconté dans un des derniers numéros du Miroir.

Un brasseur de Montmartre, se retirant des affaires, donnait à ses meilleurs habitués un dîner d’adieux :

« Ah ! ce souper ! Succulent, délicieux ! Le patron soupait chez le patron, il nous servit un de ces homards à l’américaine inoubliables. Il me semble que j’en mange encore !

« Comme je suis extrêmement poli, me trouvant en Angleterre à quelques jours de là, j’envoyai à notre hôte une carte postale de digestion. « Merci pour la langouste », écrivis-je simplement sur la partie de la carte réservée à la correspondance. Et le bon limonadier montra ma carte à tous les amis en leur demandant s’ils y comprenaient quelque chose.

— Ce Fragson me remercie pour une langouste, leur disait-il, et c’est un homard que je vous ai offert.

« C’est curieux, les gens veulent toujours faire une différence entre le homard et la langouste. Pour moi, c’est à peu de choses près la même chose, des bêtes rouges qui ressemblent à des écrevisses. Mais passons.

« On s’est alors moqué de moi pour mon ignorance en ichtyologie. Ils me montaient un bateau, je leur ai monté une scie. C’est une distraction que je m’offre ainsi de temps en temps. Jadis, j’ai lancé « Au revoir et merci » et, plus tard : « Le bonjour du chef de gare ». Cette fois, j’ai pris l’habitude de dire à tous les gens que je rencontrais : « Merci pour la langouste ». C’est très amusant : ils ne comprennent pas de quelle langouste il s’agit. Ils ont peur d’avoir fait une gaffe et ils prennent des mines impayables. C’est très commode aussi parce qu’avec une phrase toute faite comme celle-là, on n’a pas besoin de se creuser l’esprit pour mettre fin à une conversation, mais c’est très dangereux également, parce que certains se croient obligés de vous envoyer une langouste le lendemain. Ils pensent qu’on a employé une façon aussi adroite que détournée de solliciter un cadeau comestible et ils s’exécutent. »C’est ainsi qu’à l’heure présente, j’ai déjà reçu deux cent dix-sept langoustes. »

Le pauvre garçon, plein de belle humeur, était bien loin de croire sa fin si proche.

Le Journal d’Annonay, 14 janvier 1914.

«« Merci pour la langouste », disait un canulard qui commençait déjà à vieillir lors de la guerre de 1914-1918, »mais qui s’est perpétué longtemps encore dans les réunions électorales, sous forme d’interruption adressée par quelque assistant à celui des candidats dont il voulait flétrir les idées rétrogrades.

« La mer territoriale et le droit de pêche » par Francis Sauvage, avocat à la Cour d’appel de Paris, in Le Droit maritime français, vol. 15. 1963.


Air de la langouste atmosphérique

26 février 2014

Life in Hell : Akbar achète le Groenland !

Classé dans : Lieux, Littérature, Nature, Sciences, techniques, Économie — Miklos @ 20:17


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Akbar adore le Groenland – sauf les mouches, moucherons, mous­tiques et autres insectes volants qui n’hésitent pas à envahir la bouche au moindre bâillement ou, à défaut, les oreilles et l’espace entre les verres des lunettes et les yeux –, pays dont il n’a visité qu’un (tout) petit bout en compagnie de Jeff, de Dr Dne et de son mari le Professeur Lin, mais assez pour en être fasciné. Et pour le reste du pays, il se délecte à la lecture des racontars de Jørn Riel.

Et voilà qu’il découvre dans l’ECUVESEncyclopédie de la Connaissance Universelle Vraie Et Solide que ce pays est à vendre (ainsi d’ailleurs que le Cameroun, Ifni, le Togoland ou un bout de l’Inde, propriétés qui, elles, devraient intéresser Jeff).

Ni une ni deux, il se précipite dans sa banque pour en retirer toutes ses économies. À son conseiller clientèle étonné qui lui en demande la raison, il explique ce qu’il compte en faire, ce que son interlocuteur approuve : ce ne sera pas un inves­tis­sement à fonds perdus, rajoutant bancai­rement : « Sa vaste calotte [celle du pays ou celle de son cardinal ?, sussure Akbar] regorge de matières premières stratégiques pour l’avenir de la croissance mondiale : or bleu avec de l’eau en abondance, or noir avec le pétrole, or vert grâce aux terres rares, or tout court et uranium. » Akbar sourit poliment tout en se disant in peto que ce qu’il préfère, c’est la neige et les icebergs (mais pas comme FionaSi vous ne savez pas de qui il s’agit, c’est que vous n’avez pas cliqué sur l’un des deux liens hypertextes ci-dessus.).

Akbar enveloppe soigneusement ses sous – en fait, des lingots, c’est plus facile à emballer – dans du papier journal bien froissé puis dans du papier bulle, et les sépare ensuite par des frites en poly­styrène pour éviter que le timbre si particulier de leur entre­choquement ne mette la puce à l’oreille d’un postier indélicat. Il dépose le tout dans un carton idoine qu’il expédie par courrier recommandé avec accusé de réception à… Il n’est pas sûr du destinataire, alors à toutes fins utiles il adresse le paquet à Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies en le priant de bien vouloir le faire parvenir, si nécessaire, au souverain actuel du Danemark.

Une fois le titre de propriété reçu, il compte se faire construire un grand igloo – il y aura une chambre d’amis, avis aux amateurs – pour passer ses étés dans la partie du Groenland la plus peuplée d’ours blancs, de phoques, de baleines franches (au moins c’est clair, murmure-t-il) et de rorquals, de bernaches cravant, de guillemots de Brünnich, d’eiders à duvet (ça peut toujours servir, se dit Akbar in peto) et de mergules nains.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

25 février 2014

Oblativité et altruisme

Classé dans : Langue, Religion, Santé, Société — Miklos @ 15:24

Oblativité est un terme – qui n’a rien à voir avec un certain tube – introduit en psychanalyse dans les années 1920, et attribué à Édouard Pichon (1890-1940), personnage que l’on pourrait qualifier de poly­graphe : il était tout à la fois médecin, psychanalyste et gram­mairien, et sa production écrite s’étend à ces domaines.

On mentionnera notamment le monumental ouvrage en sept volumes qu’il a écrit avec son oncle, le linguiste Jacques Damourette (1873-1943), Des mots à la pensée. Essai de grammaire de la langue française, et à propos de quoi Jacques Lacan écrivait :

«Cent psychanalystes français ne feront pas faire un pas à sa connaissance [de la psychanalyse), tandis qu’un médecin, d’être l’auteur d’une œuvre géniale (et qu’on n’aille pas imaginer ici quelque sympathique production de l’humanisme médical), »a maintenu, sa vie durant, le style de la commu­ni­cation à l’intérieur d’un groupe d’analystes contre les vents de sa discordance et la marée de ses servitudes.

C’est d’ailleurs chez Pichon que Lacan a pris le terme de forclusion (et, selon Michel Arrivé, des concepts fondamentaux). En effet, « forclusif » puis « forclusion » y sont ainsi introduits dans le tome premier de l’ouvrage susmen­tionné au chapitre « La négation » :

«Le second morceau de la négation française, constitué par des mots comme rien, jamais, aucun, personne, plus, guère, etc.Pas appartient à ce groupe, mais comme il possède des pouvoirs particuliers de surnégation (ex. : « çà n’est pas rien », « je ne fais pas que de la peinture »), nous ne le prendrons pas comme type dans ce rapide exposé. Le lecteur en trouvera dans les livres suivants l’étude détaillée., s’applique aux faits que le locuteur n’envisage pas comme faisant partie de la réalité. Ces faits sont en quelque sorte forclos, aussi donnerons-nous à ce second morceau de la négation le nom de forclusif. […] Pour bien nier, il faut non seulement que j’affirme que le fait n’apparaît pas dans mon champ de connaissance »(forclusion), mais encore que, par une sorte de contre-épreuve, je le perçoive comme incompatible avec tous les faits qui sont dans ce champ (discordance).

Revenons à l’oblativité. Ce terme apparaît, sous diverses formes, dans le premier article (« Schizophrénie et schizonoïa », de René Laforgue, 1894-1962) du tout premier numéro de la Revue française de psychanalyse (dont on peut voir la fort curieuse couverture ci-contre) :

«On peut se représenter le développement d’un individu dans le milieu familial comme une continuation de la naissance dans le sens d’un détachement progressif entre le sujet et sa mère, jusqu’au moment de l’indé­pendance complète de ce sujet. Au cours de ce développement, l’affec­ti­vité du sujet subit des modi­fi­cations profondes. Fixée au début à la mère, elle est captative (Codet), et nécessite pour chaque effort l’aide de l’entourage. Avec le temps elle devient davantage oblative (Pichon), c’est-à-dire que l’enfant apprend à se passer de l’entourage et à se suffire à lui-même. Cette évolution représente le sacrifice de la mère par l’enfant et se fait par plusieurs stades, le premier intra-utérin, le second intrafamilial, le troisième intranational. […]

Le sevrage semble avoir un rôle biologique important et modifier profondément le fonctionnement de l’affectivité de l’individu par l’intermédiaire de toute une série de facteurs d’ordre émotionnel. C’est au cours de cette épreuve que le sujet acquiert la capacité au sacrifice dont on a besoin pour la vie intranationale. Nous verrons plus tard quel rôle insoupçonné joue la capacité au sacrifice dans le développement de l’affectivité d’un individu en particulier aussi bien que dans celui de la civilisation en général, civilisation qui a exalté l’idée du sacrifice à Dieu le Père, l’idée de l’amour du prochain. Cette capacité au sacrifice a été appelée par notre ami Pichon l’oblativité, par opposition à la captativité dénommée d’autre part par Codet. Ce sont ces deux facteurs captativité et oblativité qui forment ensemble ce que nous avons appelé la résultante vitale d’un individu : cette résultante serait fonction de l’un et de l’autre de ces deux facteurs. L’oblativité correspondrait donc dans une certaine mesure au « Realitäts princip » de Freud. C’est une capacité inconsciente du psychisme à accepter sans réaction pathologique tout ce qui dans la vie est en analogie avec le sevrage ; elle est par conséquent susceptible de réveiller par association d’idées les traumatismes de ce dernier. Or notre vie en société est sous bien des rapports la projection sur un plan plus vaste de la vie telle qu’on apprend à la vivre dans le milieu familial. Nous savons comment l’autorité du père devient celle de la patrie, des patrons, ou, »dans un autre ordre d’idées, celle de Dieu le Père, comment les frères deviennent des confrères, comment la nation cherche à réaliser l’idéal de la fraternité.

L’oblativité se différencierait donc de l’altruisme entre autre en cela qu’elle inclut une certaine notion de sacrifice ou de renoncement de la part de celui qu’il caractérise. On retrouve d’ailleurs cette connotation dans le terme oblat, qui signifie entre autres « Personne se sacrifiant » et à propos duquel le Trésor de la langue française cite Sartre : « Nous n’étions rien et voici que nous sommes les élus de la souffrance, les oblats, les martyrs. » (La mort dans l’âme, 1949). Éty­mo­logiquement, ils remontent tous deux au participe passé du verbe en bas latin offerire, littéralement « porter devant ». L’altruisme, lui, a une connotation positive de sympathie, de bienveillance à l’égard d’autrui. L’un valorise le sacrifice, l’autre la générosité, l’un est morbide, l’autre est positif.

À ce propos, mon père m’avait donné une intéressante interprétation de la scène biblique du « sacrifice » d’Isaac. En me faisant remarquer que Dieu avait arrêté la main d’Abraham au moment où il s’apprêtait à tuer son fils, il me dit qu’ainsi Il s’était, en fait, élevé contre la pratique païenne des sacrifices humains qui était monnaie courante à l’époque. C’est en cela que cet élément fondateur du judaïsme est à l’opposé de celui à l’origine du christianisme : dans l’un, le père ne sacrifie pas son fils, dans l’autre, ce rituel s’accomplit (et nécessite une résurrection pour assurer la survie du fils). On pourrait dire que Dieu enseigne ici au patriarche la vertu de l’altruisme, supérieure à celle de l’oblativité.

J’ai retrouvé cette interprétation dans un texte bien plus récent : « Selon Marc-Alain Ouaknin, la leçon de cet épisode est sans équivoque : c’est une mise en scène dramatique pour signifier aux hommes qu’on ne peut désormais plus jamais se croire autorisé à porter la main sur un autre homme au nom de Dieu. Pour lui, le fait que le sacrifice n’ait pas lieu est tout à fait révolutionnaire : le message qui en résulte rejoint celui des dix commandements : ce Dieu est un Dieu d’amour et de justice qui refuse la violence et plus encore celle qui est faite en son nom. » (source)

Pour les férus de psychanalyse, on signalera l’article de Christine Ragoucy « L’oblativité : premières controverses », Psychanalyse 1/2007 n° 8, p. 29-41.


Matthias Stomer (1600-1650) : Sacrifice d’Isaac. (source)

23 février 2014

Le nouveau tube de la Castafiore : « Ah ah ah, je ris… »

Classé dans : Actualité — Miklos @ 22:10


La Castafiore, ou, L’art de devenir grand-mère

Deux femmes se rencontrent :

– Quel âge ont vos enfants ?

– Le médecin il a six ans, et l’avocat il a quatre ans.

Mazal tov !

Life in Hell : pourquoi (et comment) Akbar quitte Bouygues Télécom

Classé dans : Actualité, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 20:05

Un divorce ne venant jamais seul, Akbar vient de résilier son abonnement téléphonique chez Bouygues. Voilà pourquoi.

Hier. Le téléphone sonne. Akbar répond, bien que le numéro de l’appelant soit masqué :

– Allo ?

– Bonjour, dit une voix masculinement féminine. Ici Bouygues Télécom. Vous êtes bien Akbarikou, demande-t-elle familièrement et sans même utiliser une formule de politesse ?

– Oui, je suis Monsieur Akbar.

– Vous avez actuellement une formule sans engagement chez nous, pourquoi, hein ? demande-t-elle à plusieurs reprises et avec un ton appuyé.

– Parce que, répond Akbar poliment tout en se demandant si on était en Ukraine, lors de votre dernière campagne téléphonique, il y a moins de deux mois, c’est ce que vous m’aviez proposé, me démontrant que ce serait plus avantageux, et je l’ai prise. Entre nous, Madame Bouygues, ça s’est avéré être plus cher.

– Nous avons une nouvelle formule à vous proposer, à 19€90 hors taxe, rajoute-t-elle rapidement dans un murmure inaudible, et avec beaucoup plus d’internet.

– Mais ça me reviendra quasiment à ce que je paie aujourd’hui ! d’ailleurs, je n’ai pas besoin de plus d’internet, mais j’ai besoin de…

À cet instant, Madame Bouygues lui claque le téléphone au nez sans un mot. Non, ce n’est pas un « incident technique », elle n’a pas rappelé de la journée.

Ni une ni deux, Akbar envoie à Monsieur Bouygues une lettre où il lui décrit l’insupportable outrage qu’il vient de subir. Il en envoie une copie à 60 millions de consommateurs.

Aujourd’hui. Après qu’Akbar ait aidé Jeff à comparer divers services de connexion internet et de téléphonie, il se décide à sauter le pas : il résilie son abonnement à Bouygues et en prend un chez Sosh : moins cher (TTC, lui), répondant bien mieux aux besoins de notre Don Quichotte Akbar, et en plus leur site est clair et simple.

Ceci fait, il réalise que, sans avoir pris des mesures drastiques, la carte SIM que la dite Sosh lui enverra ne pourra fonctionner dans son portable : comme tous les portables achetés avec un abonnement chez un telco, il est verrouillé de façon à n’accepter aucune carte SIM ne provenant de Bouygues…

Après s’être plongé dans une fébrile recherche sur l’internet, il trouve finalement comment demander un code de déverrouillage (ou de désimlockage, en techno­français) à Bouygues. Pas facile, les adresses que l’entreprise fournit pour ce faire sont inexistantes, mais rien ne résiste à Akbar. Enfin, presque rien.

Il saisit le code libérateur, mais voilà que son téléphone lui rétorque : « Impossible d’annuler la restriction ».

Après s’être replongé dans une fébrile recherche sur l’internet, il trouve que cela est dû à trois vaines tentatives de déverrouillage qu’il avait faites auparavant, lorsqu’il avait reçu une carte SIM gratuite de chez Free : les codes que Bouygues lui avait envoyés alors étaient faux, et au bout de trois essais, le téléphone en refuse d’autres.

À cette époque, Akbar avait reçu un autre téléphone gratuitement, ce qui lui avait permis d’utiliser cette nouvelle carte. Mais là, il tient à continuer à utiliser son bon vieux Nokia, dont l’interface est parti­cu­liè­rement ergonomique. Que faire, se demande-t-il in peto ?

Après s’être replongé une fois de plus dans une fébrile recherche sur l’internet, il trouve un logiciel miracle gratuit qui réinitialise le compteur de déver­rouil­lages en quelques instants, ce qui permet enfin à Akbar de se libérer des chaînes qui l’enlaçaient.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

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