Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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30 mars 2014

Du Secret infaillible pour cacher ses défauts et faire montre des vertus qu’on n’a pas, et qu’on n’a pas envie d’acquérir et de quelques autres lectures dominicales édifiantes pour toute la semaine

Classé dans : Littérature — Miklos @ 18:35


[André Joseph Panckoucke (1703-1753)], L’Art de désopiler la rate, sive de modo C. prudenter, en prenant chaque feuillet pour se t. le d., entremêlé de quelques bonnes choses. À Gallipoli de Calabre, l’an des folies 175886.

On trouvera l’explication du titre de ce savoureux ouvrage (regardez par exemple cette page et lisez l’histoire qui s’ensuit), donnée par l’auteur lui-même en personne, en cliquant sur l’image ci-dessus. En voici un extrait.

Catalogue des Livres de la Bibliothèque des Fausses dévotes.

I.

Le chemin du Ciel nouvellement élargi, aplani et débarrassé de tout ce qui pourrait gêner la sensualité et la cupidité. Par le Révérend Père Bénigne. À Plaisance, chez Jacques Commode, rue Saint Sauveur, à l’Espérance.

II.

Méthode courte et facile pour apprendre à faire l’oraison sans penser à rien. Par Malaval. À Cambray, chez Pierre Guyon, rue du Temps-perdu, au Docteur Molinos.

III.

Diverses méditations composées de pensées creuses, d’affections sèches, et de résolutions en l’air. Par Nicolas l’Abstrait. À Lunebourg, chez Christophle Rêveur, rue des Rats, à l’Alambic.

IV.

Réflexions consolantes et édifiantes sur les bonnes qualités, et sur les défauts du prochain. Par Sœur Sainte Justine À Sienne, chez la veuve Philacti, rue du Paon, aux deux Balances.

V.

Soliloques de l’amour propre pour s’entretenir dévotement pendant la journée. Par Geneviève Narcisse. À Béthune, chez la veuve Parfait, rue de la Perle, au Miroir.

VI.

Élévation du cœur à Dieu et au cher Père directeur. Par Sœur Agnès. À Spire, chez Joseph Aimable, rue du cœur volant, aux Séraphins.

VII.

Retraites des directeurs et des dévotes dans leurs agréables maisons de campagne durant la belle saison. Par le Révérend Père Jovial. À Beaujeu, chez Sébastien Bontemps, rue de la Magdeleine, aux deux Tourterelles.

VIII.

Les doux entretiens des directeurs et des pénitentes. Par Jacqueline Musard. À Saintes, chez Jean l’Attrayant, à la Pie.

IX.

Les gémissements de la tourterelle, et les sanglots d’une âme dévote en l’absence de son aimable directeur. Par Sœur Marie des Sept Douleurs. À Ham, chez la veuve Langoureux, rue de l’Arbre-sec, à la Magdeleine.

X.

Les innocentes jalousies des dévotes sur leur bien aimé directeur. Par Hélène Galand. À Digne, chez Urbain Gentil, rue des trois Maries, aux Bons Cœurs.

XI.

Les cruelles inquiétudes des dévotes sur la santé de leur directeur enrhumé. Par Christine des Bouillons. Chez Guy Massepin, au Coq-en-pâte.

XII.

La meilleure manière de faire des confitures, sirops, ratafias, pour le directeur. Par Catherine Sucrion. À Verdun, chez la veuve la Violette, rue des Amandiers, au Gros Citron.

XIII.

Les songes et les rêveries des dévotes jeûneuses ou artificieuses, rapportés en forme de visions et de révélations. Par Gilles le Niais. À Amboise, chez Charles Nigaut, rue des Brodeurs, à la bonne Foi.

XIV.

Les extases artificielles des dévotes, avec le secret de tromper ceux qui le veulent bien. Par Charlotte Derattée. À Ostende, chez Nicole Malois, rue du Renard, au Charlatan.

XV.

Les extravagances et les folies des dévotes changées en migraines et en vapeurs. Par le Sieur de Saint Côme. À Argentan, chez Jacques Pharmacie, rue des deux Écus, au Chat fourré.

XVI.

Traité de l’obligation dans laquelle sont les dévotes de ménager leur santé aux dépens de leur conscience, et pour la plus grande gloire de Dieu. Par Jean Doucet. À Benevent, chez Gaspard Minardin, rue Vivienne, à la Rose.

XVII.

Secret infaillible pour cacher ses défauts, et faire montre des vertus qu’on n’a pas, et qu’on n’a pas envie d’acquérir. Par Perrette de Fourbin. À Crêpy, chez la veuve Platrice, rue des Blancs-Manteaux, au Masque.

XVIII.

L’accord du luxe, du jeu, du plaisir, de la vie mondaine avec la plus sublime dévotion. Par Étienne Mélange. À Tournay, chez Françoise Amphibie, rue des deux Portes, au Tournesol.

XIX.

La métamorphose des pèlerinages des dévotes en parties de plaisir. Par Sœur Thérèse Trottin. À la bonne Table, chez la veuve Gaillard, rue Champ fleuri, au Moulin de Javelle.

XX.

La charité des dévotes pour les chiens mignons. Par Marguerite Coussinet. À Anvers, chez Barthelemi Beaupoil, rue de la Femme sans tête, au beau Doguin.

XXI.

La pudeur des dévotes, qui se font servïr et habiller par des valets de chambre et des laquais de bonne mine. Par Journal Beaufils, À Vilaine, chez Marie Graillon, rue Trousse- Vache, au bon Mari.

XXII.

La médisance des dévotes, et leur vengeance travestie en zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Par Henriette Bigot. À Malines, chez la veuve Languet, rue des mauvaises paroles, au Basilic

XXIII.

Manière de perdre agréablement en dévote le temps sans aucun scrupule. Par Marthe Loison. À Deinse, chez Gabriel le Fainéant, rue du Reposoir, au Trictrac.

XXIV.

L’art de dire à confesse très peu de chose en beaucoup de paroles. Par Denise l’entortillée. À Tournus, chez Pancrasse Loisir, rue Michel-le-Comte, au grand Cercle.

XXV.

Preuve du droit incontestable qu’ont les dévotes de ne point payer leurs dettes, de ne se gêner en rien, d’incommoder tout le monde, de ne point faire de carême, de juger et décider souverainement de tout, et de n’aimer que leurs dévotes personnes, leurs directeurs et leurs petits chiens. Par Cécile Béguin. À Grave, chez Jean le Bon, rue Princesse, à la Liberté.

XXVI.

Secrets pour trouver de quoi faire des présents à leurs directeurs, sans intéresser autre’ chose que la conscience. Par Agathe Rusée. À Montrichart, chez Thérèse Guette, rue de la Clef, au bon Larron.

XXVII.

Divers moyens de se faire une grande réputation à très peu de frais. Par Colette Doncin. À Château-Trompette, chez la veuve Chapelet, rue de la Sonnerie, à la Montre d’Or.

XXVIII.

Le triomphe et l’autorité souveraine de l’imagination dans le grand Ordre des dévotes à la mode. Par Nicole le Quinteux. À Saint Léger, chez Jeanne Ratier, sur le Pont-au-change, à la Girouette.

XXIX.

La grâce spirituelle pour guinder du premier bond les âmes dévotes par delà le troisième Cîel. Par le Père Élie de l’Ascension. À Lunéville, chez Maturin Dépêche, rue des Portes, à la Manivelle.

XXX.

Le secret d’achalander un confessionnal, et d’y attirer des poulettes grasses. Par le Père Journal de la Visitation. À Monaco, chez Daniel Blondin, rue des déchargeurs, à la Pierre d’Aimant.

XXXI.

La boussole des dévotes désorientées, ou tours d’adresse pour se disculper, aux dépens de la vérité sans mentir. Par Véronique Doublet. À Mantes, chez la veuve Radegonde, rue des douze Portes, à l’Eponge.

XXXII.

Les pendants d’oreille, ou traité des grands avantages que retirent les dévotes d’être sans cesse auprès de leur directeur. Par Sœur Colombe. Au Havre-de-Grâce, chez Urbain Joly, rue gît-le-cœur, à l’Image S. Roch.

XXXIII.

Dictionnaire à l’usage des dévotes du temps et des directeurs à la mode. Par le Père Séraphin Jargon À Monsmirel, chez Léonard Fatras, rue Geoffroy Lasnier, au Phœbus.

XXXIV.

Règlements pour les directeurs des dévotes à la mode. Par Sœur Colette de Fontevrault. À Anvers, chez Gilles Gagnepetit, rue du Gril, à la Muselière d’Or.

XXXV.

Cérémonial du grand Ordre des dévotes, avec des instructions très utiles sur les gestes et les tons de voix, et une manière de tourner les yeux, par Antoinette de Beauregard. À Aire, chez Barbe Grimacière, rue des Singes, au Compas.

XXXVI.

Le labyrinthe de la dévotion à la mode, et le moyen de trouver Dieu, où l’on fait bien qu’il n’est pas. Par Scholastique Guignard. À Tours, chez René Court-en-vain, rue Pirouette, au Merle blanc.

XXXVII.

La boîte à Pérette, ou traité fort ample de l’obligation qu’ont les dévotes de fournir généreusement aux grosses et menues dépenses de leur directeur et de tout l’Ordre. Par Adrien Tiretout. À Argentan, chez Paul Gripés, rue Cassette, à la Toison d’Or.

XXXVIII.

La Musette mystique pour égayer les dévotes atrabilaires et hypochondriaques. Par le Père des sept Allégresses. À Rieux, chez la veuve Pantaleon Jodelet, rue de la Harpe, au Violon.

XXXIX.

Les doux accords du rossignol et de la linotte, ou airs très tendres et très dévots mis en musique, pour être chantés en chœur par les directeurs et leurs dévotes. Par George le Gay. À Ris, chez la veuve Cécile Fredon, rue des Ménestriers, à la Guitare.

XL.

La fontaine ouverte aux dévotes qui font dans la sécheresse. Par Eustache de la Mare. Au Puy-en-Velay, chez Baptiste Rivière, rue de l’Égout, à la Samaritaine.

XLI.

Les allumettes de la dévotion. Par Laurent Gelé,-À Ardres, chez Mathieu Dufour, rue Jean Tison, à la Pierre à Fusil.

XLII.

Le moutardier spirituel, pour réveiller l’appétit aux dévotes dégoûtées Par Baltazar Verjus. À Salines, chez Roger le Poivre, rue Jean Pain-Mollet, à l’Orange.

XLIII.

La Médecine spirituelle, ou l’art de guérir en un instant toutes les maladies de l’âme sans purgation et sans saignée. Par le Père Benjamin. À Dole, chez Thomas Anodin, rue du Mouton.

XLIV.

Secret spécifique pour rajeunir les vieilles dévotes. Par Guillaume Fardel. À Albi, chez la veuve Jouvence,. rue du Plâtre, aux Dents d’ivoire.

XLV.

Dissertation savante sur les colifichets. Par Sœur Guillemette Joujou. À Dieppe, chez la veuve Babiole, rue Poupée, au Hochet.

XLVI.

Le grand jubilé des dévotes, ou la sainte liberté dans laquelle elles doivent vivre, sans se mettre en peine de leurs devoirs les plus essentiels, sans craindre le scandale, et sans se gêner en rien. Par Sœur Bonaventure. À Villefranche, chez la veuve Sans-joug, rue Simon-le-Franc, à l’Âne sauvage.

XLVII.

Décisions de plusieurs cas de consciences très sûres et bien fondées. Par Père Gervais de la Compassion. À Rennes, chez Vincent le Large, rue du Paradis.

XLVIII.

Tarif des émoluments que retirent les dévotes par chacun an, pour les grâces et commissions qu’elles font obtenir, et pour les procès qu’elles font gagner par pure charité. Par Mathurin Crédit. À Cherbourg, chez la veuve Ménager, rue de la Monnaie, au Compas.

XLIX.

Mémoire exact des bonnes œuvres des dévotes, revu, augmenté par elles-mêmes, et approuvé par leur directeur. Par Sœur Sainte Modeste. À Vannes, chez la veuve Craque, rue Vantadour, à la Trompette.

L

Registre des injures que les dévotes s’imaginent avoir reçu, et qu’elles ont résolu de ne jamais oublier, ni pardonner. Par Jacqueline Sans-fiel. À Crève-cœur, chez la veuve Bénin, rue Saint Etienne, à la Vengeance.

LI.

Journal de la bonne et mauvaise humeur des dévotes, calculé sur le cours de la Lune. Par Tristan Gaillard. À Liège, chez la veuve Marotte, rue des trois Visages, aux quatre saisons.

Ce pauvre corbeau…

Classé dans : Histoire, Lieux, Littérature, Photographie — Miklos @ 14:57


Street art.

« À goupil endormi rien ne chet en la gueule. » Se disait autre­fois d’une personne qui se livre à la paresse lorsqu’elle aurait besoin de travailler pour vivre.

« Sois la queue du lion plutôt que la tête du renard ». Dicton talmudique (הֱוֵה זָנָב לָאֲרָיוֹת וְאַל תְּהִי ראשׁ לַשּׁוּעָלִים).

La rue du renard longe la face arrière du Centre Pompidou. C’était, comme on l’avait vu, un quartier assez mal fréquenté au Moyen Âge, et la situation, comme on pourra le lire ci-dessous, ne s’était pas amé­liorée avec le temps. Ce n’est sans doute que la réhabilitation du quartier dans les années 1970 qui l’a transformée en une artère à la circulation dense et aux relents de pots d’échappements et dont les trottoirs étroits sont bordés de commerces destinés principalement aux touristes pressés.

Ce n’était d’ailleurs pas la seule rue qui portait ce nom : en 1492, une rue au Goulier, dite du Renard reliait les rues Bertin-Poirée et Thibault-aux-Dez (l’actuelle rue des Bourdonnais) dans le 1er arrondissement, presque en face de la rue Jean-Lantier ; elle fut ensuite fermée par des grilles à ses deux extrémités, puis transformée en cul-de-sac, et enfin supprimée. (sourceJ de la Tynna, Dictionnaire topographique, étymologique et historique des rues de Paris. Paris, 1812.). Au fil des siècles, elle a porté d’autres noms : Jean L’éveillé, Jean l’Esguillier, Jean le Goulier, Trois-Visages… Plus haut, une rue du renard-Saint-Sauveur, auparavant appelée rue percée, reliait les rues Saint-Denis et des Deux-Portes-Saint-Sauveur (l’actuelle rue Dussoubs). Enfin, au XVIIe siècle il y avait aussi une rue du renard sur la rive gauche, qui faisait le coin avec la rue de la Huchette près du point Saint-Michel (sourceHenri Sauval, Hist. des recherches des antiquités de la ville de Paris, 1724).

Face à cette prolifération, on peut se demander si le corbeau a eu sa rue à Paris. On en a trouvé peu de mentions (et le service de recherche des rues de Paris mis en place par la Ville de Paris dysfonctionne depuis des années). On signalera une rue du Corbeau dont il est fait état dans un texte plutôt macabre – Rapport sur la marche et les effets du choléra-morbus dans Paris et les communes rurales du département de la Seine – datant de 1834 ; un autre texte mentionne une « rue du Corbeau dans le quartier des Halles », où se trouvait, en 1869, une librairie. Cet oiseau de malheur n’était sans doute pas à l’honneur dans la capitale, mais on en trouve bien plus de mentions en province et notamment dans des villes de l’est et du nord de la France, ainsi qu’en Belgique : Rouen, Reims, Strasbourg, Bruxelles (où elle s’appelait auparavant rue de la pie…), Tournai, Gand…

«J’avais entendu parler de madame M…, née d’une famille très distinguée et très connue, qui loge rue du Renard, près de Saint-Médéric. Comme je connais peu Paris, il ne me paraissait nullement étonnant de n’avoir jamais ouï parler de la rue du Renard ; mais je disais, les gens d’une éducation vulgaire disent Saint-Merry pour Saint-Médéric, et puisque madame parle comme les gens bien élevés, il faut croire que sa maison répond à son éducation et à son rang. Je me rendis donc à la rue du Renard. Ah! Monsieur, est-il possible qu’une dame qui sait fixer à son gré la roue de la fortune se loge dans la rue du Renard ! Quelle rue ! celles de Brienon ne sont pas belles; mais la rue du Renard !… Je vis bien qu’il y avait là de la finesse, et je me mis en garde contre les procédés de madame M… […]

Quoique l’approche de la rue du Renard eût d’abord effrayé mes yeux et révolté mon odorat, je résolus néanmoins de vaincre mes préjugés, et de forcer son entrée noire, obscure et boueuse. Je me rappelai que la Sybille de Cumes, cette illustre prophétesse qui a eu l’honneur d’accompagner un héros aux enfers, n’habitait qu’une grotte beaucoup moins brillante que les réduits de la rue du Renard. Je fis réflexion que les personnages extraordinaires étaient sujets à des bizarreries qui les distinguaient des esprits vulgaires. Je m’acheminai donc, en me tenant sur la pointe du pied, jusqu’au n° 4 de la rue du Renard. […]

Je vous ai dit, Monsieur, que j’avais eu d’abord quelque défiance des calculs de madame Je sens maintenant combien j’ai tort. Il me semble évident que personne ne compte mieux que cette dame. Je suppose que dix admirateurs des prodiges de Paris, aussi confiants que moi dans les lumières de madame viennent chaque jour la trouver et lui remettre la petite offrande provisoire qu’elle est dans l’usage d’exiger de ses fidèles clients ; comme cette offrande est de cent francs, il s’ensuit que madame gagnera mille francs par jour,» ce qui fait trois cent soixante-cinq mille francs par an. Voilà assurément une excellente manière de jouer à la loterie, un moyen sûr de ne pas habiter longtemps la rue du Renard.

J. B. S. Salgues, De Paris, des mœurs, de la litté­rature et de la philosophie. Paris, 1813.

29 mars 2014

Mais il est délicieux, ce marmot !


Kindlifresserbrunnen (fontaine du dévoreur d’enfants), Berne.

Les ogres russes ont un appétit insatiable, comme on vient de le voir avec la Crimée dont ils n’ont fait qu’une bouchée. Cela ne date pas d’hier : Victor Hugo, dans son Bon conseil aux amants, nous racontait déjà au XIXe siècle l’édifiante histoire de cet autre ogre natif de Moscovie, qui avait, lui aussi, une faim évidemment irrésistible, et dont la fin est inévitablement tragique.

Je ne sais si Freud en a parlé dans Le mot d’esprit et son rapport avec l’inconscient, mais il y a de quoi se lécher les babines à analyser la confusion qui était à l’œuvre dans la petite tête de ce géant amoureux. Pour ceux qui n’auraient pas saisi, voici quelques explications de texte (assorties d’illustrations de circonstance et de commentaires personnels entre crochets). Si vous trouvez qu’elles se contredisent, c’est normal, c’est le propre du subconscient que d’être truffé de paradoxes.


Claudine Bouzonnet-Stella (1641-16970, La Mouche (source).
Cliquer pour agrandir.

«MARMOT, s. m. du grec μορμώ (marmó), spectre. Gros singe, petite figure grotesque, petit garçon.

Marmot est le nom qu’on donnait autre fois aux petits singes. De là, dit M. de Paulmy, on a appelé les petits garçons marmots, et les enfants marmailles. [On signalera en passant à nos amis des bêtes que bambin est dérivé de babouin. « Un babouin a dû très facilement se comparer à un petit enfant », selon le Vocabulaire analytique du Jargon du XVe siècle d’Auguste Vitu.] De là encore marmotter, pour dire parler entre ses dents, sans rien prononcer, comme font les singes.

[…]

[« Ah ! vraiment, va, mes parents qui vont venir dans un moment, sauront tes véritiés, sac à vin, infâme, tu ne bouges du cabaret, & tu laisses une pauvre femme avec des petits enfants, sans savoir s’ils ont besoin de quelque chose, à croquer le marmot tout le long du jour. » Molière, La jalousie du Barbouillé, sc. xi.]

« Je me fis annoncer comme successeur de Don Valerio ; ce qui n’empêcha pas qu’on ne me fit attendre plus d’une heure dans l’antichambre. Monsieur le nouveau secrétaire, me disais-je pendant ce temps-là, prenez s’il vous plaît patience. Vous croquerez bien le marmot, avant que vous le fassiez croquer aux autres. » Lesage, Gil-Blas, liv. viii, ch. 3.

« Croquer le marmot, c’est faire avec du charbon et de la craie diverses figures sur ces statues de marbre, ou d’autres pierres, qui sont dans les vestibules, ou sur les degrés des grandes maisons, ce qui convient assez à un pauvre diable qu’on fait attendre et qui s’ennuie. Les Gascons disent croquer le mouset, qui se dit par aphérèse pour marmouset, diminutif du bas-breton marmous, synonyme de marmot. » Ducatiana, t. ii, pag. 489, Amsterdam, 1738.

« On dit proverbialement : garder le mulet ; compter les clous de la porte ; faire le pied de grue ; et croquer le marmot. Ces quatre expressions signifient, à quelques nuances près, attendre longtemps à la porte d’une maison, ou dans un lieu quelconque. Les trois premières s’expliquent facilement; ainsi je ne m’arrêterai qu’à la quatrième qui, selon moi, doit son origine à une espèce d’instrument (si je puis l’appeler ainsi) qui était autrefois fort en usage, et que j’ai encore vu dans mon enfance à la porte principale de plusieurs antiques manoirs. Voici comment était disposé cet instrument qui tenait alors lieu des marteaux et des sonnettes dont on se sert à présent : un gros morceau de fer crénelé était attaché à la porte en forme de poignée; dans cette poignée était passe un gros anneau de fer qu’on pouvait aussi faire mouvoir du haut en bas, et du bas en haut de la poignée. La porte en cet endroit était garnie d’un gros bouton de cuivre qui représentait une de ces figures grotesques, qu’on nomme ordinairement marmots. Voulait-on se faire ouvrir la porte, on agitait l’anneau contre les crénelures de la poignée, et ce frottement produisait un bruit, ou plutôt un craquement assourdissant qui se faisait entendre dans l’intérieur de la maison.

» Je pense donc que croquer le marmot tire son origine du frottement dont je viens de parler. Quand une personne avait longtemps attendu à la porte, elle pouvait dire : J’ai longtemps frotté l’anneau ; ou plutôt : j’ai longtemps craqué (usant de l’onomatopée) ; et comme pendant ce frottement, ce craquement, le marmot attirait l’attention, ou peut-être rendait un son, on l’aura associé à cette action, en disant : j’ai longtemps craqué le marmot.

» Vous m’objecterez sans doute, Monsieur, que l’on ne dit pas, craquer, mais croquer le marmot, et que ces deux verbes n’ayant pas la même signification, on ne peut reconnaître dans ce que je viens de dire, l’origine de croquer le marmot ; je suis d’accord avec vous sur ces deux points; mais n’est il pas possible que l’a de craquer se soit changé en o dans croquer, comme celui d’armoire que le peuple prononce ormoire. Je suis d’autant plus fondé à croire ce changement, que j’ai souvent entendu des anciens dire : craquer le marmot. » Manuel des Amateurs de la langue française, pag. 373, Paris, 1813.

« L’origine de l’expression croquer le marmot, donnée dans le n° 3 (du Manuel des Amateurs de la langue française), n’est point satisfaisante ; en voici une que nous croyons meilleure : si une personne, qui en attend une autre, s’impatiente, elle murmure entre ses dents et imite, en quelque sorte, »la grimace du marmot ou du singe ; elle croque comme le marmot, elle croque…. le marmot. » A. Boniface, Manuel des Amateurs de la langue française, n° 5, pag. 153.

François Noël et L. J. Carpentier, Philologie française, ou dictionnaire éty­mo­logique, critique, histo­rique, anec­dotique, lit­té­raire, t. 2. Paris, 1831.


Le croquis des croqueurs, pot-pourri national, ou Almanach croustillant pour la présente année. À Croque-Marmot, chez Croquant, Libraire, rue Croquée, vis-à-vis d’une marchande de croquets. 1790.

«Cette locution est synonyme de Garder le mulet, et l’abbé Tuet que j’ai consulté les explique toutes les deux. « Garder le mulet, c’est s’ennuyer à attendre quelqu’un. Le mulet était la monture de nos ancêtres. Quand un maître avait affaire dans une maison, il faisait garder son mulet à la porte. Cette fonction n’était pas amusante, quand il fallait attendre longtemps. De là est venue l’expression familière Garder le mulet… Un babillard, qui se promenait avec un de ses amis, entra dans une maison où il n’avait, disait-il, qu’un mot à dire. L’ami l’attend à la porte, et assez longtemps pour perdre patience. L’autre, revenu enfin, lui dit d’un ton plaisant : Vous gardiez donc là le mulet ? — Non, reprit l’ami un peu piqué, mais je l’attendais. Croquer le marmot, autre expression familière qui signifie la même chose que Garder le mulet. Elle vient peut-être de ce que les enfants que l’on fait attendre dans une rue, s’amusent à croquer, c’est-à-dire à dessiner grossièrement sur les murailles quelques marmots, ou ce qu’ils appellent des bonshommes…. Marmot est le nom qu’on donnait autrefois aux petits singes. » […]

— On lit dans le Dict. des Proverbes français, de Quitard, p. 526 : « Croquer le marmot. Attendre longtemps. L’origine de cette locution est fort controversée. Les uns la font venir d’une fable d’Ésope, imitée par La Fontaine : Le loup, la mère et l’enfant. Les autres la rapportent à l’habitude qu’ont les compagnons peintres de croquer un marmot (de tracer le croquis d’un marmot) sur un mur, lorsqu’ils sont obligés d’attendre. Je crois qu’elle fait allusion à l’usage féodal d’après lequel le vassal qui allait rendre hommage à son seigneur devait, en l’absence de celui-ci, réciter à sa porte, comme il l’eût fait en sa présence, les formules de l’hommage, et baiser à plusieurs reprises le verrou, la serrure ou le heurtoir appelé marmot, à cause de la figure grotesque qui y était ordinairement représentée. En marmottant ces formules, il semblait murmurer de dépit entre ses dents, et en baisant le marmot, il avait l’air de vouloir le croquer, le dévorer. Ainsi il fut très naturel de dire figurément Croquer le marmot, pour exprimer la contrariété ou l’impatience qu’une longue attente doit faire éprouver, tette explication est confirmée d’ailleurs par l’expression italienne Mangiare i catenacci, manger les cadenas ou les verrous, qui s’emploie dans le même sens que la nôtre.

— M. Édouard Fournier consacre à cette expression la note suivante : « […] D’autres veulent y voir une allusion aux amants morfondus qui, faisant le pied de grue à la porte de leurs maîtresses, se consolaient à baiser le marteau sculpté en marmot grotesque. Cette opinion peut se justifier par la miniature d’un roman du XVIe siècle, reproduite dans le Bibliographical Decameron, de Diddin, t. I, p. 216, où l’on voit un jeune homme baisant ainsi le marteau de la porte de la maison où demeure sa dame ; et aussi, par plus d’un passage des auteurs du XVIe et du XVIIe siècle, notamment par une phrase de la comédie des Petits maîtres d’été (1696), qui nous représente »ces Narcisses modernes passant l’hiver « à se morfondre sous les fenêtres des dames et à baiser les marteaux de leurs portes. » […]

L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, Ire année, Paris, 1864.

27 mars 2014

Et la grosse huile, c’est…

Classé dans : Actualité, Cuisine — Miklos @ 18:22


The new oil tycoon.

26 mars 2014

Quand ActuaLitté rature

Classé dans : Actualité, Livre, Médias — Miklos @ 12:45


Les bibliothèques d’Érik Desmazières

« Table ronde autours du PNB en Europe », « elle date ddu projet Gutenberg », « le rôle social de l’“e-bibliothèqe” », « Tout  ce que nous faisons à la librairie » (il s’agit évidemment de « bibliothèque », faux ami notoire), « Ll’idée de la bibliothèque virtuelle », « fichiers chronodégradable », « …pourquoi un ebook peut-être indisponible à un moment », « la bibliothèque de Grenoble a ainsi pu apprendre à maîtriser les outils numériques, tester les réactions des inscrits, voir les demandes », « la même signifation sociale », « les bibliothèques le plus ouvertes possible ».

Voici une sélection de phrases d’un article du site ActuaLitté – les univers du livre qui vise à rapporter le contenu d’une table ronde consacrée au prêt de livres numériques en bibliothèque, et qui s’était tenue en début de semaine au Salon du livre. Ce texte ne se contente pas de bafouer l’orthographe et la syntaxe – un comble, vous l’avouerez, dans le contexte du livre et de la lecture –, il en transforme aussi les faits. Voici quelques mises au point.

 « Le Centre National du livre a organisé une table ronde réunissant trois femmes ».

Non, c’est le service du livre et de la lecture au ministère de la culture qui l’a organisée, en réunissant quatre personnes, dont une n’était pas une femme (je peux en témoigner personnellement).

 « L’idée n’est pas jeune. Les intervenants ont rappelé qu’elle date ddu [sic] projet Gutenberg lancé à l’initiative de Michael Hart en 1971 ».

La confusion entre « livre électronique », « bibliothèque numérique », « prêt électronique de livres » est totale… L’intervenant, moi en l’occurrence, a dit en l’espèce que :

- le livre numérique, inventé vers 1949, existe de façon exploitable depuis le début des années 1960 ;

- la première bibliothèque numérique apparaît sans doute avec le projet Gutenberg qui démarre en 1971 ;

- le prêt de documents électroniques commence avec l’apparition du disque compact dans les années 1980 ;

- et enfin, le prêt en ligne de documents numériques (musicaux) démarre, lui, en 2003 au Danemark.

 Le journaliste cite Madame Andrea Krieg, qu’il intitule « directrice de la bibliothèque Karlsruhe en Allemagne », et lui fait dire : « Nous proposons maintenant 350 000 titres différents. Ils sont consultables sur tout type de support, ordinateurs, tablette ou smartphone, et sont chronodégradables. »

D’abord, il ne s’agit pas d’une quelconque bibliothèque nommée Karlsruhe, mais de la bibliothèque d’État de Karlsruhe (c’est un peu comme s’il appelait notre BnF « la bibliothèque Paris »).

Ensuite, là aussi confusion totale (et données erronées) entre la taille du fonds physique de la bibliothèque – 311 942 documents – et son fonds numérique disponible en ligne – 7204 documents.

 La relation que le journaliste fait de l’intervention de Madame Fiona Marriott de Luton Culture est aussi plus qu’approximative : elle ne mentionne pas qu’il s’agit d’un organisme à but non lucratif et d’utilité publique (en anglais, « registered charity ») récemment créé (en 2008), plutôt qu’un organisme d’État, à la différence des deux autres bibliothèques représentées ici.

Ensuite, l’article ne dit pas – information centrale, pour ce débat – que le fonds numérique (comparable en volume avec celui de Karlsruhe) est fourni par OverDrive, société américaine qui détient d’ailleurs quasiment le monopole du prêt électronique d’ouvrages aux États-Unis et dont l’offre ne correspond pas toujours aux besoins de bibliothèques britanniques.

Enfin, les problèmes avec Penguin ont commencé bien plus tard, quand OverDrive a fait affaire avec Amazon et permis le télé­char­gement d’ouvrages sur le Kindle, ce qui a causé le retrait de l’éditeur de son offre dans OverDrive en 2011 (et son retour en septembre 2013).

 En ce qui concerne la bibliothèque de Grenoble, aucune mention de Numilog, fournisseur d’un petit fonds de livres électroniques à cette bibliothèque municipale depuis 2005, puis les raisons de la réorientation vers le projet PNB passées sous silence. À ce propos, le journaliste semble confondre l’acronyme de ce projet – un nom propre, donc – avec l’expression « prêt numérique en bibliothèque » en tant que nom commun, qui décrit ces nouvelles modalités de circulation.

Enfin, il prétend que cette bibliothèque « désirait construire sa propre interface numérique » (mes italiques), ce qui est une incompréhensible incompréhension… : à ma question, Madame Brigant avait expliqué (en français, elle) que PNB, à l’encontre par exemple de la solution OverDrive, ne fournissait pas d’interface à ses services mais des APIs (méthodes de connexion informatiques) ce qui nécessitait ce développement.

Je ne peux qu’espérer que le reste du public de la table ronde aura compris, lui.

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