Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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18 mars 2010

Les visiteuses

Classé dans : Musique, Photographie, Récits — Miklos @ 8:54

Madame XFRR#27 et sa fille xfrr#031 (qu’elle appelle familièrement Porfi­chtou­mik­da­bi­croûté) viennent d’émerger de leur aéronef. Plates malgré leur apparence arrondie (signe de luxe sur leur planète), elles se déplacent généralement en glissant sur des surfaces horizontales comme verticales. Leur grand œil ouvert en perma­nence scrute avec curiosité les alentours. Au-dessous du cou, leur thorax bombé est surmonté d’une ouverture destinée à évacuer l’air qu’elles aspirent par leur pied unique lorsqu’elles ont à décoller d’une surface pour voler vers une autre.

Ce n’est pas la première fois que la mère visite la Terre : elle l’avait découverte enfant avec sa propre mère, et revient maintenant pour montrer à sa fille ce monde étrange, tradition familiale qu’elle espère se voir perpétuer. Elle est surprise : une trentaine d’années plus tôt2, il y faisait beaucoup plus clair et les Formes étaient vêtues de couleurs aussi vives que les leurs. Maintenant, la Terre est terne, son Soleil est-il en train de s’éteindre ? Elle garde ces tristes réflexions pour elle.

N’ayant qu’un œil, les deux femmes ne peuvent percevoir la profondeur : tout ce qu’elles voient est plat. Et inexplicable, voire choquant : il leur suffit de glisser légè­rement pour voir des Formes, apparemment immobiles, glisser en sens inverse3 ; certaines Formes, plus rapides, passent au-dessus d’autres au lieu de les contourner par politesse. Il n’y a qu’une Forme qui leur paraît plus familière : placée en hauteur dans un cadre leur faisant face, elle est plate comme elles. Même si elle possède deux yeux qui surmontent une ouverture béante, elle se laisse contempler à loisir, n’étant pas saisie de cette frénésie qui semblent animer toutes ses congénères. Plus tard, lorsqu’elles glisseront vers le sol, elles en rencontreront une autre sur leur chemin, monochrome et aux deux yeux si cernés de noir qu’elle en a l’air bien malade.

Quel univers morbide, se dit la petite fille. Vivement qu’on s’en aille, poursuit-elle en fredonnant, pour se rassurer, son tube favori :

On s’est aimés comme dans un rêve
Mais hélas j’ai dû repartir
Et nos amours ont été brèves
Chérie je voudrais revenir
Ton nom me hantera sans cesse
Pendant les longues nuits d’été
Ton nom doux comme une caresse
Porfichtoumikdabicroûté
Un jour je monterai peut-être
Chercher le fruit de nos amours
Cet enfant bâti comme un hêtre
Qui naquit au bout de huit jours
En voyant amarsir son père
Le chéri l’aimera beaucoup
Et prendra pour courir lui dire
Ses treize jambes à ses deux cous…
 
C’est la java martienne
La java des amoureux
En fermant mes persiennes
Je revois tes trois grands yeux
Ça marse toujours, ça marse comme ça
Oui Saturne à tour de bras
La java d’amour, martiale java
Que j’ai dansée dans tes bras
C’est la java martienne
La java des amoureux
Toutes tes mains dans les miennes
Je revois tes trois grands yeux.4


1 Les noms des enfants – uniques – sont en minuscules jusqu’à leur majorité, jour où leur œil vert devient blanc, tandis que leur peau prend une teinte plus foncée. L’âge est toujours précisé dans leur nom après le croisillon. Il n’y a pas d’hommes dans leur monde, et il n’est donc pas nécessaire pour la femme ou la fille de prendre le nom d’un quelconque mari ou père, présent ou envolé.

2 Une de leurs années durant environ une semaine terrienne, ce voyage remontait à juillet 2009.

3 Tout est relatif : lorsqu’elles glissent dans un sens, la personne immobile semble glisser dans le sens inverse, par rapport au paysage.

4 Boris Vian, La Java martienne.

4 commentaires »

  1. Un monde sans hommes ? Bigre…..

    Commentaire par francois75002 — 22 mars 2010 @ 15:50

  2. BIGRE est le nom qu’on donnait autrefois à de certains individus riverains des forêts, qui avaient soin d’y chercher des abeilles, de les rassembler et de les élever dans des ruches, pour y faire du miel et de la cire. Les bigres avaient le droit de couper et d’abattre les arbres où elles se trouvaient, à leur profit, sans pouvoir être recherchés ni inquiétés pour ce fait. Depuis, et agrandissant toujours de plus en plus leur pouvoir, selon la tendance naturelle de l’homme, ils en vinrent à s’arroger le droit de prendre dans les forêts tout le bois dont ils avaient besoin pou: le chauffage, d’où ils furent appelés dans quelques endroits francs bigres. Un édit royal de 1669 ayant supprimé tous les droits de chauffage, à quelques exceptions y mentionnées, les bigres, qui n’avaient d’autre titre que l’usage, durent renoncer à cet avantage. — On lit dans le Mercure de février 1729 une explication du mot bigre, dont l’auteur tire l’étymologie du mot latin apiger, ou apicurus, c’est-à-dire qui gouverne les mouches, qui a soin des abeilles. Selon ce qui est très probable, en effet, on aura retranché d’abord l’a, et de piger, qui reste, en changeant le p en b, comme il est arrivé fort souvent, et comme nous l’avons démontré du reste à l’article qui concerne cette lettre (voyez p. 1, du tom. 4 de ce Dictionnaire), on aura, fait biger, et bigre en français ; ce que l’on a pu faire également du mot apicurus, par abréviation et par contraction ou synérèse.

    Dictionnaire de la conversation et de la lecture, tome VI. Paris, 1833.

    On se rappellera que le maître des mouches est Belzebuth (= Baal Zebub). On comprend que ces visiteuses n’aient pas eu envie d’avoir des bigres. Quant à l’étymologie de l’interjection, on l’attribue à un diminutif de bougre : si ça en est un mauvais, il ne s’intéresse pas à elles, si c’est un bon, c’est une denrée rare.

    Commentaire par Miklos — 22 mars 2010 @ 16:48

  3. [...] Mère se résigne à envoyer son meilleur agent, X27 (de son vrai nom, doux comme une caresse, Porfichtoumikdabicroûté), explorer la galaxie à la recherche d’une nouvelle patrie plus accueillante. X27 s’envole [...]

    Ping par Miklos » Naissance de l’art contemporain — 13 avril 2010 @ 2:04

  4. [...] esprit Porfich­toumik­dabi­croûté, ce prénom doux comme une caresse dont on a parlé ici) si ses parents avaient eu gain de cause en [...]

    Ping par Miklos » Qu’y a-t-il de commun à Clafoutis, Excel, Hashtag, Ikéa, J’Adore, Périphérique, Superman et Térébentine (sic) ? — 20 juillet 2013 @ 19:19

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