Robespierre
Cette beauté d’ange que l’on prête malgré soi, — par delà les pages poussiéreuses d’un livre feuilleté jamais autrement que dans la fièvre, — à quelques-uns des terroristes mineurs : Saint-Just, Jacques Roux, Robespierre le Jeune, — cette beauté que leur conserve pour nous à travers les siècles, nageant autour d’une guirlande de gracieuses têtes coupées comme un baume d’Égypte, le surnom de l’Incorruptible — ces blancheurs de cous de Jean-Baptiste affilées par la guillotine, ces bouillons de dentelles, ces gants blancs et ces culottes jaunes, ces bouquets d’épis, ces cantiques, ce déjeuner de soleil avant les grandes cènes révolutionnaires, ces blondeurs de blé mûrissant, ces arcs flexibles des bouches engluées par un songe de mort, ces roucoulements de Jean-Jacques sous la sombre verdure des premiers marronniers de mai, verts comme jamais du beau sang rouge des couperets, ces madrigaux funèbres de Brummels somnambules, une botte de pervenches à la main, ces affaissements de fleur, de vierges aristocrates dans le panier à son — comme si, de savoir être un jour portées seules au bout d’une pique, toute la beauté fascinante de la nuit de l’homme eu dû affluer au visage magnétique de ces têtes de Méduse — cette chasteté surhumaine, cette ascèse, cette beauté sauvage de fleur coupée qui fait pâlir le visage de toutes les femmes — c’est la langue de feu qui pour moi çà et là descend mystérieusement au milieu des silhouettes rapides comme des éclairs des grandes rues mouvantes comme sur l’écran d’une allée d’arbres en flammes dans la campagne par une nuit de juin, et me désigne à certaine extase panique le visage inoubliable de quelques guillotinés de naissance.
Julien Gracq,
Liberté grande
Liberté grande
Oh, Gustave Moreau !.. moi qui ne savais pas quoi faire de ma journée, vite, au musée !
Commentaire par chat_gouttiere_32a_republik — 22 juin 2005 @ 12:40
C’est un musée qui vaut la visite, et plus d’une fois…
Commentaire par Miklos — 22 juin 2005 @ 12:48
Quelle phrase! Quelle taille de phrase!
Commentaire par hugoindigo — 22 juin 2005 @ 23:39
Je pense plus au contenu de la phrase – à ses expressions frappantes par leur portée suggestive (je pourrais presque toutes les citer, jusqu’à "guillotonés de naissance") – qu’uniquement à sa taille. Cette longue énumération poétique et terrible qui aboutit comme par une explosion à la "langue de feu" et à l’"extase panique" est saisissante.
Commentaire par miklos — 23 juin 2005 @ 1:13