Le Latin perdu, par Jean Guichard-Meili (1978)
Bonum vinum laetificat cor hominis.
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Chaque rentrée scolaire fait déplorer, toujours davantage, que l’étude du latin soit de plus en plus négligée, sa valeur formatrice sous-estimée par rapport à celle des sciences triomphantes, et le nombre des élèves appelés à en bénéficier si réduit. On mesurera plus tard, trop tard sans doute, les conséquences désastreuses de ce discrédit sur la qualité générale de la culture. Ils ne voient donc pas, nos responsables, de quelles joies fortes, de quelles subtiles satisfactions ils privent de jeunes esprits trop tôt dirigés vers les avenues rectilignes des disciplines scientifiques ? Que ne se rappellent-ils, avec nous qui avons goûté si longtemps aux délices de la version latine, les perles étincelantes dont notre chemin montant, sinueux, malaisé mais si pittoresque, a été enrichi !
Ah, lire César, le fier et fougueux conquérant de la guerre des Gaules ! Caesar cepit Galliam summa diligentia : « César attrapa la gale en haut d’une diligence… » Pourquoi aussi avoir quitté Rome, où le peuple se bornait à demander quoi ? Panem et circenses : « Du pain et des cerises » — menu frugal et modeste, en somme. On ne rappellera jamais trop souvent les passages célèbres des grands classiques, Virgile en tête. Apparent rari nantes in gurgite vasto : « Il paraît qu’à Nantes les rats rient à gorge déployée… »
Comme cette langue se prêtait bien à la frappe de la médaille, comme elle savait, en trois mots, cerner le trait moral ! Castigat ridendo mores : « La chasteté fait rire les Maures » (il n’y a pas qu’eux par les temps qui courent). Sursum corda : « Je suis sûr de la potence. » Et lors de chaque exécution coram populo : « Qu’est-ce qu’il y a encore comme peuple », hélas !
Les belles sentences : Bonum vinum laetificat cor hominis : « Le bon vin lubrifie le cor de l’homme », recette précieuse aux pédicures. De minimis non curat praetor : « Le curé ne prête pas aux Minimes », ce qui est de prudente économie ecclésiastique. C’est André Gide qui rappelait, dans Paludes, l’illustre traduction de l’adage Numéro deus impare gaudet : « Le numéro deux se réjouit d’être impair », en ajoutant « et il a bien raison ! »
Toutes les époques avides connaissent l’Auri sacra fames : « Laure est une sacrée bonne femme »… C’est elle, sans doute, qui interprète à sa mode le Suave mari magno de Lucrèce : « Oui, mon doux mari, je me magne… » Pour sûr, elle est persona non grata : « Cette personne n’est pas du gratin. » Et Rule Britannia (du latanglais, cette fois) : « Allez, roulez, la Bretagne. »
Un attendrissement particulier pour cette petite fille qui, confrontée à la phrase brève : Caper peperit, ouvre son dictionnaire. Caper : la chèvre, pas de problème. Peperit, passé simple de pario (peperi, partum) : enfanter, mettre ses petits bas. Ses petits bas ? Hum, modernisons un peu… Et la fillette écrit fièrement : « La chèvre mit ses socquettes. » N’est-ce pas choupinet ?
Nos professeurs de latin — »car enfin il en reste, honneur à ces héros — en conservent certainement des centaines comme celles-là dans leurs collections particulières.
Cet article, publié le 18/9/1978 dans Le Monde, fait curieusement écho à l’article de Georges Maurevert, Latin fantaisiste, publié 50 ans plus tôt, sans pourtant y faire référence… Il est reproduit ici avec l’autorisation du Monde Syndication. Tous droits réservés. Les illustrations, rajoutées pour cette publication en ligne, sont le fruit de Miklos.