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28 mai 2025

La complainte amoureuse qu’Alphonse Allais n’a pas écrite

Classé dans : Humour, Littérature, Médias — Miklos @ 23:25

Cliquer pour animer. Source : Whisk.

Épître amoureuse d’un puriste
Dédiée à M. Blavet
 
Oui, dès l’instant que je vous vis,
Beauté féroce, vous me plûtes ;
De l’amour qu’en vos yeux je pris,
Sur-le-champ vous vous aperçûtes ;
Mais de quel air froid vous reçûtes
Tous les soins que pour vous je pris !
Combien de soupirs je rendis !
De quelle cruauté vous fûtes !
Et quel profond dédain vous eûtes
Pour les vœux que je vous offris !
En vain je priai, je gémis :
Dans votre dureté vous sûtes
Mépriser tout ce que je fis.
Même un jour je vous écrivis
Un billet tendre que vous lûtes,
Et je ne sais comment vous pûtes
De sang-froid voir ce que j’y mis.
Ah! fallait-il que je vous visse,
Fallait-il que vous me plussiez,
Qu’ingénument je vous le disse,
Qu’avec orgueil vous vous tussiez !
Fallait-il que je vous aimasse,
Que vous me désespérassiez,
Et qu’en vain je m’opiniâtrasse,
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m’assassinassiez !

Ce texte fort bien tourné est souvent attribué à la plume d’Alphonse Allais, et sous le titre « Complainte amoureuse », avec comme source L’Hydropathe (1880).

Or il était apparu dans la presse – probablement pour la première fois – le 9 décembre 1867 (in Le Pays, Journal de l’Empire, p. 2) – alors qu’Alphonse Allais n’avait que 13 ans – dans le cadre d’un débat public au Corps législatif sur l’utilisation de l’imparfait du subjonctif entre d’un certain M. Blavet qui le préconisait, et M. Granier de Cassagnac qui l’a interrompu avec humour, critiquant cet usage et citant ce poème, sans doute de sa plume.

Comme précédemment évoqué, on en trouve des traces apparemment plus anciennes ; un certain Martellières, in L’intermédiaire des chercheurs et curieux n° 788 du 10 février 1898, cite le poème en rajoutant : « J’ignore que en est l’auteur. C’est une chansonnette comique que j’ai entendue pour la première fois en 1849 sous ce titre : Les confessions d’un grammairien. Elle était chantée par un comique nommé Paul Bonjour, qui eut son heure de célébrité. J’ai recherché vainement cette chanson sans pouvoir la retrouver. »

Or en 1837, L’Écho de la Loire publie une amusante historiette intitulée La Règle des participes (que l’on trouvera retranscrite ici), qui parle justement d’un grammairien obsédé par l’imparfait du subjonctif et qui comprend un petit poème du même style que l a deuxième partie du nôtre, mais avec des paroles quelque peu différentes :

Version 1837

Version « Allais »

Fallait-il que je m’enflammasse,
Pour que vous vous glaçassiez !
Fallait-il que je vous aimasse,
Pour que vous me méprisassiez !
Fallait-il que je vous suivisse,
Afin que vous me quittassiez,
Et qu’à vos genoux je me misse,
Pour que vous me rebutassiez !!!

Fallait-il que vous me plussiez,
Qu’ingénument je vous le disse,
Qu’avec orgueil vous vous tussiez !
Fallait-il que je vous aimasse,
Que vous me désespérassiez,
Et qu’en vain je m’opiniâtrasse,
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m’assassinassiez !

L’auteur de l’article – et peut-être du poème ? – n’est pas mentionné.

Il est donc plausible que la version actuelle, faussement attribuée à Alphonse Allais, soit due à Granier de Cassagnac, qui l’aurait composée vers 1867 en s’inspirant de la version de 1837.

Une autre variante, inspirée elle aussi par la version de 1837 (on retrouve le « Fallait-il que je vous aimasse »), parut en 1886 dans Les Annales politiques et littéraires (8 août 1886, p. 7) :

«Nous avons publié dans un dernier écho une boutade contre l’imparfait du subjonctif. Ce dernier proteste contre le subjonctif, qui veut lui signifier son congé.

Ah ! fallait-il que je naquisse,
Que sous votre toit je grandisse,
Et que près de vous je vieillise,
Pour que vous me détruisissiez !
Fallait-il que je vous suivisse,
Et qu’à vos lois je m’asservisse,
Pour que délaissé je me visse
Et qu’à l’écart vous me missiez !
 
Bien qu’Imparfait toujours je fusse,
Fallait-il donc que je me tusse,
Et qu’en tout lieu je ne parusse
Que pour que vous m’en exclusiez !
Hélas ! sans que je le voulusse,
Fallait-il que je vous déplusse,
Et qu’assez longtemps je vécusse
Pour que vous me méconnussiez !
 
Fallait-il que je vous aimasse,
Que pour vous je me dévouasse,
Je soupirasse et m’enflammasse,
Pour qu’enfin vous vous glaçassiez !
Fallait-il que je sanglotasse,
Et qu’à vos pieds je me jetasse,
Je m’attachasse et m’enchaînasse»
Pour que vous me repoussassiez !

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