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10 novembre 2004

Paradis perdus

Classé dans : Littérature, Peinture, dessin, Société — Miklos @ 7:41


Fra Carnevale ou Luciano Laurana: La città ideale, 1490-1505.
Huile sur bois, 80,3 x 219,8 cm.

« Avec la Renaissance se développe une ample réflexion sur la cité idéale, qui fait de la ville, en tant que telle, un objet de l’art. Inauguré par le traité d’Alberti De re aedificatoria, écrit entre 1444 et 1472 et publié en 1485, ce courant s’intéresse avant tout à l’architecture civile, considérant la cité, à la fois ville et société, comme une totalité organique dans laquelle les proportions doivent régner sur les parties, afin qu’elles aient l’apparence d’un corps entier et parfait et non celle de membres disjoints et ina­chevés. »Utopie, la quête de la société idéale en Occident.

Le temps n’est plus aux utopies, manifestation d’un espoir en un monde meilleur en ce bas monde, soit dans une ville parfaite, soit dans une nature idéalisée par Rousseau alors et les Verts d’hier, dans un modèle de société idéale que tous les totalitarismes ont prôné, chacun à sa façon, sans pour autant contribuer au bonheur de tous. Elles ont été remplacées par certaine fiction décrivant des mondes meilleurs mais ailleurs, décadents (La Machine à explorer le temps de H.G. Wells), voire une société totalitaire et hyper-surveillée (1984 de George Orwell ou Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley), ou alors carrément des scénarios catastrophe (tels ceux — remarquables — de J.G. Ballard). Aux peurs millénaristes et eschatologistes se substituent des projections réelles sur le réchauffement de la planète.

L’idéal de la beauté, depuis les Grecs jusqu’aux temps modernes, a été remplacé par les corps fragmentés des cubistes, puis par ceux torturés d’un Francis Bacon, enfin par ceux remodelés de façon permanente par une chirurgie esthétique dans un délire de perfection.

Enfin, le lieu (social) de la cité et le corps (physique) du citoyen s’effacent dans l’utopie de l’être tout-communiquant, branché en permanence sur son téléphone portable et sur l’internet, pris dans la toile de plus en plus paralysante de l’internet mais incapable de socialiser dans la cité avec ses voisins, ses collègues…

10/11/2004

3 commentaires »

  1. (d’une certaine façon, nous poursuivons ce vieux rêve néo-platonicien, dont s’est emparé l’Eglise primitive pour l’asseoir au coeur de sa théologie, d’un mépris du corps. Le dégoût de la matière – lisible tant chez Plotin que chez les gnostiques qu’il a combattus – place la corporéité dans le monde des choses inférieures. Les chrétiens uaront à faire la synthèse entre la bipolarité grecque âme-corps et la valorisation de la sensualité chez les jufs. Synthèse, faut-il le rappeler, qui s’effectuera assez massivement au profit du premier terme. Le corps est de ce monde = poussière = boue, mais l’âme qui l’habite, elle, ne l’est pas. Il est alors loisible de lire l’évolution de nos conceptions du corps comme le déploiement, toujours actif, de cet ancien mépris. Corps glorieux du Christ, corps idéalisé des dieux, nous serions en quête d’un corps immatériel, à la hauteur de fantasmes selon lesquels l’âme spirituelle pourrait se manifester comme corps radieux mais sans plus les défauts et limitations de la matière – de l’âge, de la sexualité, etc. – ou, plus radicalement, comme "énergie", quoi que cela veuille dire, totalement plastique, exonérée de l’espace et du temps, mais soumise à l’information. Ces deux conceptions étant, ce me semble, deux images du corps des anges. Que, devant l’impossibilité de trouver ce corps édenique, nous, occidentaux, produisions des représentations de corps en miettes, en strates, n’a dès lors rien d’étonnant. Car nous avons découvert, aussi, que nos corps individuels reflètent celui de l’histoire, et que nous ne pouvons plus croire en la fin lumineuse qu’annonçait le retour du Christ, ou sa reconversion en achèvement d’un projet menant au bonhur de l’humanité. A la brisure de cet espoir correspond la hantise des apocalypses urbaines de l’expressionnisme, et le délitement des représentations du corps.

    Il y aurait énormément à en dire – je n’aborde que celui qui résonne dans ton article. Une dernière question, eput-être : comment sortir de ce vieux projet qui, déjà, peut se lire chez Platon ? Peu-être une attention à l’Orient, Moyen et Extrême. Ou, nous l’oublions, systématiquement, à l’Afrique. Nous, Occidentaux, sommes dès l’origine non pas judéo-chrétienne, mais gréco-chrétienne, des amputés du corps. Nous vivons coupés en deux, jusque dans les strates les plus anciennes de notre inconscient historique. Il y a là une schize à dépasser, n’en déplaise à Deleuze.)

    Commentaire par kliban — 5 avril 2005 @ 9:08

  2. Merci pour ce commentaire particulièrement intéressant, tout d’abord pour la remarque à propos du prétendu héritage "judéo-chrétien", terme antinomique s’il en est, au vu des différences, voire des oppositions, sur les questions fondamentales (temps, homme, société, Dieu) entre ces deux religions, et dont le rapprochement ne peut s’expliquer, au mieux, que par un syncrétisme dénaturant chacune pour les réduire à un commun dénominateur vide de sens, et au pire par une récupération de l’une par l’autre qui assied ainsi sa légitimité en réduisant la première aux principes de la seconde.

    Ensuite, ta remarque sur la "décorporalisation" est éclairante, et me semble rejoindre le délitement de la cité (qui requiert un corps physique) et sa transformation en une pseudo-communauté virtuelle universelle (qui abolit les corps), et qui s’accompagne par une sensation d’individualisme exarcerbé par cette perte de corporalité, et qui n’est souvent qu’une manifesation de conformisme planétaire.

    Enfin, plutôt des nantis de la planète. Les autres, la majorité, qui ne bénéficie pas du paradis artificiel de l’internet – et pour cause, ils n’ont souvent pas d’électricité et, pour beaucoup, même pas le minimum vital – il ne leur reste que leur communauté de frères et soeurs de misère comme réseau, soutien bien plus réel que celui de l’inexistante communauté électronique.

    Commentaire par miklos — 5 avril 2005 @ 23:44

  3. [...] grandes villes contemporaines sont fort différentes du modèle de la cité idéale de la Renaissance, celui d’un corps harmonieux : elles s’étendent à perte de vue à la surface de la terre [...]

    Ping par Miklos » Mégapoles — 29 août 2008 @ 1:17

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