Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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10 avril 2005

Des sentiments

Classé dans : Littérature, Société — Miklos @ 15:48

Toujours séduits par la même erreur, nous ne prenons des amis que pour avoir des gens particulièrement destinés à nous plaire: notre estime finit avec leur complaisance ; le terme de l’amitié est le terme des agréments. Et quels sont ces agréments ? qu’est-ce qui nous plaît davantage dans nos amis ? Ce sont les louanges continuelles, que nous levons sur eux comme des tributs. D’où vient qu’il n’y a plus de véritable amitié parmi les hommes ? que ce nom n’est plus qu’un piège, qu’ils emploient avec bassesse pour se séduire ?
 
— Charles de Montesquieu, Éloge de la sincérité

Qu’un véritable ami est une douce chose !
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;
Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même ;
Un songe, un rien, tout lui fait peur,
Quand il s’agit de ce qu’il aime.
 
— Jean de La Fontaine

Pourquoi, chacun de nous ne dit-il pas chaque jour : tu n’as d’autre pouvoir sur tes amis que de leur laisser leurs joies et d’accroître leur bonheur en le savourant avec eux. Es-tu en mesure, lorsqu’ ils sont tourmentés jusqu’au fond de leur âme par une angoissante passion, intérieurement bouleversés par le chagrin, de leur apporter un peu de soulagement ?
 
— JW v. Goethe

Or voici la chose la plus difficile : fermer par amour la main ouverte et garder la pudeur en donnant.
 
— Friedrich Nietzsche

La seule limite de l’amour est d’aimer sans mesure.
 
— Saint Augustin

L’amour représente toute ce qu’il est nécessaire de savoir et de retenir. Il n’y a rien d’autre à apprendre. Celui qui sait cela, sait tout.
 
— Vladimir Jankelevitch

Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. »
 
— Michel de Montaigne, De l’Amitié, Essais, livre Ier, ch. XXVIII.

…et l’on fait grande attention quand on achète du bétail, mais on montre de la négligence dans le choix de ses amis, on n’a pas de signes distinctifs permettant de reconnaître ceux qui sont vraiment faits pour l’amitié. Ce sont ceux dont le caractère est ferme, inébranlable, immuable, qu’il faut choisir, et d’hommes de cette trempe il y a grande pénurie. Il est très difficile de les reconnaître autrement qu’en les mettant à l’épreuve et l’épreuve en pareille matière implique déjà l’amitié, de sorte que l’amitié devance le jugement et rend l’épreuve impossible au préalable. Il est donc prudent de commencer par opposer quelque résistance à l’inclination fougueuse, comme on modère l’allure d’un char et, tout de même qu’on met à l’essai un attelage, de ne donner son amitié qu’après avoir éprouvé par quelque endroit le caractère des gens. »
 
— Cicéron, De l’Amitié, chap. 17, XVII.

… ce qui prouve qu’en fait d’amitié la ressemblance des caractères a plus de force que les liens du sang.
 
— Cornelius Nepos, Les Vies des grands capitaines.


Cicéron: De Amicitia, ms. du xvie s.

15 commentaires »

  1. Trés jolies citations… j’ajouterai évidemment que l’Homosexualité s’est souvent représentée à travers l’amitié. Pensons à la philia grecque qui fait le coeur du Lysis de Platon.. aux modèles de Nisus et Euryale ou d’Oreste et Pylade… et de cette démarche qui veut qu’aujourd’hUi, l’homme qui partage la vie d’un autre soit un "friend " et un "copain".. société à responsabilité limitée.

    Sénéque disait d’abord à Lucilius de s’abstraire du monde puis de se trouver un ami dans la lettre 3, vaste sujet dans la société cruelle de l’époque de Néron où chacun peut-être dénoncé:

    " si, selon toi l’ami est quelqu’un auquel tu ne fais pas exactement autant confiance qu’à toi, tu as fait une grave erreur et tu ne connais guère la portée de l’amitié vraie. Quand à toi, délibére sur toute chose avec un ami, mais sur lui-même d’abord: aprés l’amitié, on doit avoir confiance, avant l’amitié, on doit juger "

    Commentaire par zopiros59 — 10 avril 2005 @ 23:06

  2. Effectivement, mais je reste persuadé que l’amitié existe indépendamment de ce qu’on pouvait qualifier, alors comme aujourd’hui, d’homosexualité (et c’était loin d’être la même nature sociale de relation et personnelle de rapport, au delà du sexuel), et, plus généralement, de sexualité.

    Sa récupération politique au fait homosexuel est (toujours à mon avis) réductrice et erronnée ("David et Jonathan", "amour courtois" etc.) ; en a-t-on besoin là où quand homosexualité il y a, elle était clairement nommée sinon décrite ?

    À l’inverse, la dissimulation de l’homosexualité sous le fait de l’amitié est, comme tu le dis, assez courante ; elle a de bonnes raisons (protection personnelle au regard de la famille ou de la société) mais aussi parfois un manque de vocabulaire adéquat (i.e., communément accepté) pour "nommer l’autre" (amant ? ami ? mari ? concubain ? stroumpf ?).

    Commentaire par miklos — 10 avril 2005 @ 23:20

  3. Schtroumph, j’aime assez :o )

    L’amitié… C’est irremplaçable, ça a ungoput à nul autre apreil, et, contrairement à l’amour, on n’éprouve jamais le besoin d’en crier le nom sur tout les toits. Ce qui s’y éprouve passe les mots. D’autres l’ont dit, mieux que cela :o )

    Commentaire par kliban — 10 avril 2005 @ 23:48

  4. Je tiens à m’excuser publiquement à l’égard du peuple cubain, que ma coquille ne visait pas.

    Commentaire par miklos — 11 avril 2005 @ 0:00

  5. Oui mais "Philia" n’est pas "Eros".. et "Lysis" prend une tout autre signification que le "Banquet" et le "Phédre" car la rencontre des corps n’est pas envisagée aussi clairement. et comme tu le dis, il ya plus un problème de langage que de représentation. Mais justement le langage est loin d’être anecdotique.

    Dans une époque de répression, c’était un bon moyen de dire sans dire.

    Sur David et Jonathas, je me suis toujours étonné de l’attention des pères jésuites à faire jouer ce grand mystère sacré aux petits garçons.

    Commentaire par zopiros59 — 11 avril 2005 @ 0:23

  6. Je me couche. Bonne nuit Miklos. Restez au sommet!La philosophie est toujours empêtrée dans ses jupes et avec les meilleures ambitions, on accouche parfois de monstre. Mais vous savez en déjouer les pièges, et rester proche de l’humain dans tout votre panorama.
    Bonjour/bonsoir!

    Commentaire par hugoindigo — 11 avril 2005 @ 0:24

  7. Zopiros59 : je ne suis pas sûr d’avoir compris ton commentaire. Pour le 1e paragraphe, c’est le premier "mais" qui me dérange, il semble s’opposer à ce que je disais en des termes moins techniques (je ne connais rien à la philosophie, n’en déplaire à Hugoindigo), que l’amitié n’est pas forcément sexuée (et si je comprends bien, c’est ce que tu dis dans ta 1e phrase).

    Pour le dernier paragraphe, je ne connais pas non plus les habitudes des pères jésuites, mais je trouve cet épiside de David et Jonathan (j’insiste sur le "n" final, présent en hébreu, et dont le remplacement par un "s" est un contresens flagrant – passant de "Dieu a donné" à "Dieu a abandonné" !) d’une grande innocence, si je puis dire, l’archétype, justement, de l’amitié (et non pas de l’homosexualité et dont le "problème" est justement qu’elle ne se symbolise pas, étant si banale dans sa diversité).

    Enfin, il me semble que la nature même des relations (sexuées ou non, des relations en général) était différente alors d’aujourd’hui, et le problème de vocabulaire est celui que nous n’avons pas des termes réservés à ces réalités différentes.

    Un livre très intéressant qui décrit une "autre" réalité est "Friends and Lovers" de Robert Brain (traduit en français par "Amis et amants", même si "lover" et "amant" là aussi ne dénotent pas tout à fait les mêmes réalités). Cette étude ethnographique comparative de tribus (africaines, australiennes, américaines) y parle des relations amicales et amoureuses, et des schémas de "mariage", fort différents parfois de ce qu’on connaît dans le monde occidental et "moderne". Un bémol, ici comme ailleurs il doit y avoir une intentionnalité "politique" sous-jacente, mais c’est bien moins pire (si je puis dire) que le livre de John Boswell sur l’homosexualité et la Bible, dont la lecture si partiale, tendancieuse et réductrice (du moins en ce qui concerne les textes et les traditions que je connais bien) sont simplement fausses, tout en entraînant l’enthousiasme d’un lectorat acquis par avance à ses thèses.

    Plus généralement, je doute qu’il y ait des lectures de texte "objectives" (textes qui ne le sont jamais aussi, eux, sauf peut-être l’annuaire téléphonique, et encore…). Ce qui est important, c’est d’expliciter les présupposés, et de ne pas donner "sa" lecture comme une vérité universelle. Un des grands "maîtres de lecture" est George Steiner (dont j’ai parlé ailleurs).

    Commentaire par miklos — 11 avril 2005 @ 7:39

  8. Je suis preneur de critiques serrées sur le bouquin de Boswell – quand je dis serrée :avec les libres en main, et des crayons pour noter :o ). Si tu as du temps, bien sûr.

    Commentaire par kliban — 12 avril 2005 @ 0:45

  9. Je l’avais lu quand j’habitais aux US. Vu l’impression qu’il m’a faite, je ne l’ai pas acheté, et n’aurais jamais le courage de le relire. Je pourrais t’en dire toutefois quelques commentaires d’ordre méthodologiques plus spécifiques, si cela t’intéresse.

    Commentaire par miklos — 12 avril 2005 @ 2:59

  10. j’ai bien compris cette amitie et je voudrais vous aimez pour ceete article il m’a aide beoucuop merci bien

    Commentaire par youssef — 15 février 2008 @ 16:50

  11. Bonjour, j’ai une analyse a faire sur un extrait de Robert Brain. L’extrait est celui ou il parle des relations libres ou des relations obligatoires. Je dois identifier la these soutenue ou la these rejetee, j’ai du mal a savoir si Robert Brain rejete les relations libres ou obligatoires. Si vous pouviez m’aider… Merci d’avance.

    Commentaire par Sabrina — 18 janvier 2009 @ 0:17

  12. Les sentiments exprimés n’ont-ils pas la forme, la nature, la tournure des concepts de valeur que l’on pense être ceux de celui ou de celle ou de ceux à  qui on veut plaire, avec qui on veut entrer en communion ? (Mais on imagine l’autre en fonction de soi)

    Selon que l’on aime sentimentalement une personne du sexe opposé, un ami, un ancien vénérable, une autorité, un enfant ..etc on mettra en oeuvre des valeurs différentes.
    Les sentiments, c’est cette mise en scène particulière pour plaire.
    Dis-moi à quoi tu crois, je te dirai comment tu aimes.

    Commentaire par jean louis — 12 juillet 2010 @ 9:52

  13. « Les sentiments exprimés », dites-vous. Que ce soit en amitié ou en amour (il n’y a qu’un cheveu de différence, et encore), que ce soit pour une personne du sexe opposé ou du même sexe (je ne vois pas pourquoi n’en distinguer qu’un cas de figure comme pour en exclure les autres, ils existent pourtant, autant en amitié qu’en amour), que ce soit pour un parent, un enfant… Ces expressions, quand elles sont orales (ou écrites), sont parfois splendides, et reflètent sans doute bien l’imaginaire de celui qui les profère.

    Je préfère, à « expression » (de sentiments), « preuve ». Il en va autant pour l’amour et l’amitié que la charité, la générosité, l’altruisme et leurs opposés : c’est dans les actes qu’ils se manifestent avec certitude, et même si les paroles ont souvent un effet, elles ne suffisent pas.

    Quant à « mettre en oeuvre des valeurs différentes » : cela suppose d’abord que l’on agit en fonction de valeurs, ce qui est majoritairement rare, non ? Et quand d’aucuns invoquent des valeurs, il arrive souvent qu’elles s’appliquent à un champ d’action mais pas à un autre. Sans citer de noms, on connaît de grands personnages dont l’action humanitaire (par exemple) était sans faille mais dont la vie de couple ou de famille était loin d’être exemplaire…

    Et si les valeurs ne servent, comme vous l’écrivez, qu’à plaire, ce sont des valeurs marchandes. Les « vraies » valeurs sont ailleurs, tout à fait ailleurs.

    Commentaire par Miklos — 12 juillet 2010 @ 18:33

  14.  » Il en va autant pour l’amour et l’amitié que la charité, la générosité, l’altruisme et leurs opposés : c’est dans les actes qu’ils se manifestent avec certitude  »

    Les actes appliquent, executent des pensées, non ?

    « Ces expressions, quand elles sont orales (ou écrites), sont parfois splendides (je ne dis pas le contraire, quoi que ce genre de jugement soit relatif) , et reflètent sans doute bien l’imaginaire de celui qui les profère (tout à fait). »

     » Quant à « mettre en oeuvre des valeurs différentes » : cela suppose d’abord que l’on agit en fonction de valeurs, ce qui est majoritairement rare, non ? Et quand d’aucuns invoquent des valeurs, il arrive souvent qu’elles s’appliquent à un champ d’action mais pas à un autre. Sans citer de noms, on connaît de grands personnages dont l’action humanitaire (par exemple) était sans faille mais dont la vie de couple ou de famille était loin d’être exemplaire  »

    Il est plus vraisemblable de considérer que ces grands personnages obéissent à d’autres valeurs dans ces autres contextes.

    Plaire peut avoir un sens moins péjoratif : c’est tout ce qui fait plaisir, pour des raisons diverses, à l’autre.
    Le sentiment, à travers les formes sociales qu’il emprunte (voir vos exemples), n’est-il pas un moyen de parvenir à un certain accord, une certaine communion avec l’autre ?

    Commentaire par jean louis — 14 juillet 2010 @ 11:18

  15. « Les actes appliquent, executent des pensées, non ? », dites-vous. Je suis de ceux qui pensent que l’homme n’est pas une machine qui exécute imperturbablement et infailliblement des pensées, des valeurs : il y a d’une part les instincts et les réflexes, qui ne sont pas toujours contrôlables par l’esprit. Mais aussi, entre « penser », « vouloir » et « pouvoir » il y a parfois des mondes, et même si tout correspond, les facteurs externes à notre volonté et à notre contrôle peuvent faire aussi que l’acte final ne corresponde pas.

    Il faut aussi soulever la problématique de systèmes de pensées ou de valeurs contradictoires en la même personne, ou parfois difficilement conciliables (l’amour et le devoir, par exemple), qui font que la prise de décision et l’action ne découlent pas automatiquement de ces valeurs.

    Commentaire par Miklos — 24 juillet 2010 @ 20:08

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