Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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25 novembre 2009

« Certaines annonces qui sont affichées sur le Crédit Lyonnais sont des escroqueries. » (Google)

Classé dans : Actualité, Langue, Sciences, techniques — Miklos @ 3:18

On a récemment parlé de Craigslist, ce service international de petites annonces. La facilité d’y publier anonymement n’importe quoi, sa gratuité, le volume astronomique d’annonces qui s’y rajoutent chaque jour, contribuent à la croissance des abus de tous genre (du virtuel au réel, de l’escroquerie – le plus communément – au viol, voire au meurtre, heureusement plus rares… pour le moment). Il n’est donc pas étonnant de lire dans de nombreux forums des messages indignés à propos de ces phénomènes.

Dans l’un d’eux, anglophone, on pouvait lire : “Some ads which are posted on CL are scams”. Il est évident pour tout lecteur, à partir du contexte de la discussion, que « CL » est une abréviation qui désigne Craigslist. Eh bien, ça n’est pas aussi évident pour Google, pour qui le contexte n’est pas le texte dans sa langue et son pays d’origine, mais ceux de l’internaute qui utilise son système de traduction automatique, dont le résultat est cité dans le titre de ce billet. Google, lecteur vorace s’il en est, a dû certainement tomber récemment sur cet article.

12 mai 2008

Tradutore traditore

Classé dans : Langue, Peinture, dessin, Sciences, techniques — Miklos @ 1:26

Si la traduction s’élève parfois au niveau de l’art – on en a parlé ailleurs –, elle n’a souvent qu’une fonction, celle de palliatif des tristes conséquences de la construction de la tour de Babel, dont on a récemment vu au Kunsthistorisches Museum de Vienne l’époustouflante représentation qu’en a donné Brueghel – qui est après tout un autre genre de traduction, de la langue de la Bible (qu’il avait sans doute lue déjà traduite) à celle de la toile : son attention autant pour l’ensemble que pour la myriade des plus microscopiques détails, tableaux dans le tableau, peut d’ailleurs illustrer ce qu’est le travail du grand traducteur, fidèle à tous les niveaux du texte tout en en donnant sa propre représentation dans la langue cible. Voyons ce qu’en dit Dominique Bouhours (dont on avait lu les remarques acérées à propos de larigot et d’étymologies fantaisistes) :

Sur tout je me persuade que la précipitation est dangereuse en ce mestier-là. Ceux qui composent le plus de livres, ne sont pas toûjours les meilleurs Ecrivains ; & ce que Quintilien a dit de sa Langue1, se peut dire de la nostre. Ce n’est pas en écrivant viste, que l’on apprend à écrire bien ; c’est en écrivant bien, que l’on apprend à écrire viste.

L’exemple de M. de Vaugelas en vaut mille, si je ne me trompe. Vous sçavez, Messieurs, que tout habile qu’il estoit en nostre langue, il fut plusieurs années sur la traduction de Quinte-Curce, la changeant, & la corrigeant sans cesse ; & j’ay leû avec étonnement dans l’histoire de l’Académie2, qu’après avoir veû quelque traduction de M. d’Ablancourt, il recommença tout son travail, & fit une traduction toute nouvelle. Mais ce qui m’a le plus surpris, & ce qui devroit confondre les faiseurs de livres, c’est que dans cette derniére traduction, il se donna la peine de traduire la plupart des périodes en cinq ou six manières différentes.

Aussi je ne m’étonne pas aprés cela, que son ouvrage ait esté admiré de tout le monde, & que M. de Balzac mesme, qui n’estoit pas grand admirateur des ouvrages d’autruy, ait dit de bonne foy, que l’Alexandre de Quinte-Curce estoit invincible, & celui de Vaugelas inimitable.

Pour moy, Messieurs, je vous confesse que j’en suis charmé ; & que plus je lis cette admirable Traduction, plus j’y découvre de beautez. C’est, à mon gré, un chef-d’œuvre en nostre Langue, & je pense que l’on ne peut se rendre parfait dans l’éloquence Françoise, sans suivre les Remarques & imiter le Quinte-Curce de M. de Vaugelas.

Dominique Bouhours, Doutes sur la langue françoise
Proposez à Messieurs de l’Académie françoise
par un gentilhomme de province
. Paris, 1675.

C’est par des traductions sur un autre genre de toile que nous clorons ces remarques. L’utilisation de la machine pour effectuer des traductions automatiques est un rêve qui date, selon John Hutchins, du xviie siècle3, et qui n’a pu commencer à prendre corps qu’avec l’invention de l’ordinateur, ce qui a été le cas peu après la seconde guerre mondiale, et en intégrant les avancées scientifiques dans des domaines tels que la cryptographie et la théorie de l’information de Shannon. Si la traduction est un domaine d’une rare complexité4, son informatisation l’est bien plus : elle ne se limite pas au choix d’un mot dans un dictionnaire, mais nécessite la compréhension du texte (en d’autres termes, sa sémantique). Considérez ces deux phrases en anglais :

Time flies like an arrow.
Fruit flies like a banana.

(attribuées à Groucho Marx). Elles illustrent la nécessité d’une information sémantique pour pouvoir déterminer que, dans la première, time est le sujet, flies est un verbe à la troisième personne du singulier et like une préposition, tandis que dans la seconde, le sujet est fruit flies, flies étant ici un substantif au pluriel (de fly), et like le verbe au pluriel. Ainsi, la première signifie « le temps vole comme une flèche » (et non pas « les moucherons du temps aiment une flèche »), et la seconde « les moucherons des fruits aiment une banane » (et non pas « le fruit vole comme une banane »). Il faut « savoir », entre autre : que les fruits ne volent pas (sauf si un conjoint vous jette une banane à la tête), que, d’ailleurs, le temps non plus sauf dans cette métaphore en anglais (qui correspond au tempus fugit en latin, tout aussi métaphorique), et qu’il existe des mouches de fruit et pas de mouches de temps.

C’est la raison pour laquelle les systèmes conçus pour un corpus de textes bien définis – le droit, la recherche pharmaceutique, l’industrie pétrolifère pour ne citer que ceux qui bénéficient de soutiens conséquents pour leur importance économique et stratégique – sont en général plus efficaces que ceux destinés à traduire tout type de texte : on peut leur fournir ce niveau de connaissance (à l’aide d’ontologies informatiques, par exemple), ce qui n’est pas faisable pour l’ensemble des domaines de l’esprit humain. Certains systèmes généralistes sont disponibles sur l’internet, tel Babel Fish d’Altavista6, qui utilise, comme d’autres traducteurs informatiques, la technologie de traduction Systran développée depuis les années 1960 (et qui avait été mise à disposition sur le réseau Minitel…).

Un développement original dans son approche est celui du traducteur de Google, qui ne se base pas uniquement sur des règles et des dictionnaires, mais aussi sur un corpus gigantesque de traductions « humaines », celui de textes bilingues officiels des Nations Unies : ceci lui permet d’« apprendre » des usages de traduction en se servant de cette multiplicité d’exemples en contexte. Mais dans le meilleur esprit du Web 2.0 il permet aussi à l’usager ayant fait appel à ce service de suggérer une meilleure traduction, ce qui est souvent nécessaire : sa traduction en anglais de l’expression ce plagiat antisémite produit (en mauvais anglais) un contresens : The anti-plagiarism, un anti-plagiat7… On peut se demander toutefois si ce genre d’intervention ne fera pas aussi appel à des vandales, tels ceux qui, régulièrement, défigurent, parfois avec humour, la Wikipedia, sans pour autant être détectés parfois pendant de longues semaines.8

Et enfin, on ne peut passer sous silence le traducteur dans le vent (de l’actualité), qui nous a donné ceci. À l’arvoïure !


1 Citò scribendo non fit ut benè scribatur; benè scribendo, fit ut citò. (Note de l’auteur)
2 P. 498. (Note de l’auteur)
3 E. F. K. Koerner et R. E. Asher (eds.), Concise history of the language sciences: from the Sumerians to the cognitivists, p. 431-445. Pergamon Press, Oxford, 1995. Cet extrait est disponible en ligne. Le site Machine Translation Archive, réalisé par John Hutchins, vise à réunir l’ensemble des textes (articles, livres…) publiés en anglais sur la traduction automatique. On y trouve quelques textes (pour l’un d’eux, le sommaire uniquement, pour raisons de respect de copyright) de Peter Toma, l’inventeur de Systran, dans lesquels il décrit sa longue carrière (débutée en 1956) dans ce domaine.
4 Cf. Umberto Eco, Dire presque presque la même chose. Expériences de traduction. Grasset, Paris, 2007.
5 Même les traductions que nous avons exclues seraient envisageables dans un certain genre de texte, humoristique, poétique, de science-fiction…
6 L’un des tous premiers moteurs de recherche, inventé par Digital Eq. Corp. en 1995, et qui avait proposé bien avant d’autres plus célèbres aujourd’hui des modes de recherche novateurs. François Bourdoncle, le père du récent moteur de recherche français Exalead qui devrait être utilisé dans le projet Quaero, avait travaillé comme chercheur chez Altavista.
7 Il se peut que la traduction ait changé lorsque vous cliquerez sur le lien signalé, si un lecteur intéressé aura pris la peine de suggérer une autre traduction, en passant la souris sur le texte problématique.
8Ainsi, l’article sur l’Ordre de la Toison d’or, que nous avons consulté après notre retour de Vienne, indique à ce jour que « Les collections médiévales de l’ordre (…) sont exposées au musee de Margot, à Vienne.kokok ». Inutile de préciser qu’un tel musée n’existe pas, ok ok ? L’historique des modifications de cet article montre qu’un abonné de Wanadoo à Dijon s’est attaché à corriger ainsi le nom du musée, dont la version précédente était musee de Monoprix. Nous ne citerons pas les inventions précédentes qui se sont succédées depuis le 2 avril, date où l’on trouvait encore le nom correct, celui du Schatzkammer. Inutile de se fatiguer à corriger, le lutin reviendra sous une autre adresse. Quand le ver est dans la pomme…

22 janvier 2008

L’universalité de la langue et la particularité du langage : amours, délices et orgues

Classé dans : Langue — Miklos @ 9:32

«Tout le monde sait que le langage transporte aux choses inanimées un caractère emprunté du règne animal. Il fait considérer les unes comme des femelles, les autres comme des mâles, en appelant par exemple, certaine semence une graine, certaine autre un grain, certain amas de pierre une montagne, certain autre un mont, certaine excavation une fosse, certaine autre un fossé. Cette distinction peut sembler étrange ; mais elle est utile, ne fût-ce que parce qu’elle sert à marquer entre les noms les plus semblables, quant à la forme et au sens, une différence assez considérable. En signalant cette différence entre les substantifs synonymes à radicaux communs et terminaisons peu ou point significatives, nous ferons connaître la raison générale qui a guidé le sens commun dans l’imposition de l’un ou de l’autre genre à tels ou tels substantifs.

Le féminin est toujours plus général, le masculin toujours plus particulier. Les noms, auxquels convient le premier genre, renferment dans leur signification quelque chose de plus étendu, de plus vague, et de plus indéterminé que leurs synonymes du genre masculin. Et ceux-ci ont un sens précis et spécial : ils expriment les mêmes choses, mais les font considérer comme ayant des bornes, une destination ou une forme particulière, qui les sépare de tout ce qui n’est pas elles, quelque chose enfin qui leur donne une existence distincte. Dans celui des deux termes synonymes qui est au féminin, la chose apparaît comme un tout ou un genre, dont le substantif masculin n’exprime qu’une partie ou une espèce, mais bien caractérisée, ou, comme une substance, une matière, une étoffe sans forme et sans destination précise, qui en reçoit une dans le substantif masculin : c’est ainsi que la barre devient le barreau, la terre le terrain et le terroir, la pâte le pâté, etc. Le mot orge est féminin, quand on ne spécifie pas de quel orge il s’agit, et masculin dans les expressions, orge mondé, orge perlé, orge moulu (Boss.), orge mondé et pilé (Roll.) ; vivre d’orge grossièrement pilé et à demi-cuit sous la cendre. (Marm.) Le pendule est dans la pendule une partie seulement. Les mots aide, enseigne, garde, sentinelle, manœuvre, pris au féminin, désignent des abstractions, des actions vagues. Au masculin, ces mêmes mots signifient des hommes qui ont tel emploi, qui font ces actions par état ; ils deviennent plus précis en donnant à l’idée une forme concrète.

Le substantif féminin est donc l’expression mère ; il signifie le genre, et le substantif masculin l’espèce. Voilà pourquoi, dans les synonymes de cette sorte, le masculin peut toujours se définir par le féminin, mais non pas réciproque ment. Le barreau est une espèce de barre, le pâté une espèce de pâte, le terrain une espèce de terre, le limaçon une espèce de limace ; mais non pas, la barre une espèce de barreau, la pâte une espèce de pâté, la terre une espèce de terrain, la limace une espèce de limaçon. Si le masculin se définit par le féminin, c’est qu’il exprime la même chose que lui, plus certaines qualités ou circonstances qui le déterminent ou le spécialisent. Que si le féminin ne peut à son tour se définir par le masculin, c’est qu’en effet il ne réunit pas ces qualités ou ces circonstances qui appartiennent eu propre au masculin, qui le déterminent et le spécialisent.

Rien de plus facile à justifier que cette règle. Dans chaque espèce animale, la femelle contient et produit le mâle, comme dans le langage le féminin comprend le masculin. De son côté, le mâle se distingue par son individualité ; les caractères de l’espèce ne brillent qu’en lui, ou brillent en lui beaucoup plus que dans la femelle. C’est la femelle, plus certaines qualités que le mâle possède seul, comme la beauté du chant, la vivacité des couleurs, les cornes, la force, etc.

Cette même règle va recevoir des faits une justification plus éclatante encore. Nous la verrons d’abord appliquée aux substantifs qui ont la même terminaison au masculin qu’au féminin.

AMOURS (f.), AMOUR (m.). Passion d’un sexe pour l’autre.

Le mot amour, généralement masculin, prend quelquefois le genre féminin ; mais cela n’arrive guère en prose, suivant l’Académie, si ce n’est quand le mot est au pluriel ; nouvelles amours, ardentes amours, folles amours. Or, évidemment le pluriel est bien plus compréhensif que le singulier : revenir à ses premières amours, n’indique pas l’objet d’un premier sentiment, n’exprime pas qu’il ait été unique, avec autant de précision que, revenir à son premier amour. Ensuite, l’amour désigne un sentiment, et le sentiment seul ; les amours présentent cette idée mêlée avec beaucoup d’autres ; elles font songer aux assiduités, aux petits soins, aux doux propos, aux témoignages d’affection. « Ce Lapon nous dit qu’il lui en avait bien coûté, pendant ses amours, deux livres de tabac et quatre ou cinq pintes de brandevin. » Regn. De plus, et c’est une autre condition dont l’Académie ne parle pas, le mot amour, au pluriel, n’est employé comme féminin que quand il est précédé et non pas suivi de son adjectif : de folles amours, et non des amours folles ; comme de sottes gens, et non des gens sottes. L’adjectif étant mis après, amour, quoique au pluriel, resterait masculin : des amours brutaux (Pasc. Volt.) ; froids, honteux, déplacés, odieux, lascifs (Volt.) ; particuliers (Cond.) « Il est des amours emportés aussi bien que des doucereux. » Mol. C’est qu’en général l’adjectif se place avant le substantif dans les locutions vagues, et après dans les locutions précises. Voy. ci-après Synonymie des expressions qui ne diffèrent que par l’ordre des mots : savant homme, homme savant.) Si donc le mot amour n’est féminin qu’au pluriel et après l’adjectif, la raison en est qu’alors seulement il tient de ces deux circonstances le caractère décidé de vague et d’indétermination qui est propre au féminin.» — Délice et orgue, masculins au singulier, sont aussi féminins au pluriel, même sans avoir besoin, comme amours, d’être précédés de l’adjectif : délices pernicieuses (Boss.), orgues portatives. (Acad.)

B. Lafaye, Dictionnaire des synonymes de la langue française
avec une introduction sur la théorie des synonymes.

Paris, Hachette, 1884

17 août 2006

Mais où est donc Ornicar ?

Classé dans : Langue, Sciences, techniques — Miklos @ 20:59

Il avait relevé dans le bottin les numéros de quelques collègues, qu’il nota soigneusement avec son bic dans un calepin de moleskine ; puis il les appela un à un, mais ils étaient tous absents. Bon bougre, il fit contre mauvaise fortune bon cœur : dans son frigidaire, il trouva un sandwich rassis (bien que pasteurisé) et une clémentine desséchée qu’il jeta à la poubelle ; en guise de balthazar, il ne lui restait qu’une charlotte qu’il dégusta avec un kir. Puis il décida de s’envoyer en l’air tout seul. Il sortit de chez lui vêtu d’une dalmatique chatoyante et coiffé de son panama, et s’offrit un tour en montgolfière du côté de Balleroy, après s’être assuré qu’il avait quelques kleenex dans la poche de son mackintosh, en cas de courant d’air. Dans ces hauteurs éthérées, pas un bruit de klaxon, ce qui le changeait de son quotidien de chauffeur de limousine. Rentré chez lui, il ferma les persiennes, éteignit sa lampe de bakélite et s’endormit. (Miklos, Le Journal inexistant de Mr Personne)

Ce texte bucolique évoque le souvenir de Sébastien Bottin (fondateur, en 1796, de la société qui porte toujours son nom), du Baron Bich (« un homme de pointe »), d’Ambrogio Calepino (lexicographe italien du quinzième siècle), de John Montagu comte de Sandwich (père du fast food d’époque), de Louis Pasteur (qui n’était pas médecin comme on pourrait le croire, mais chimiste), du Père Clément (qui s’appelait Vital Rodier avant d’entrer dans les ordres ; s’il ne l’avait fait, aurait-on appelé le fruit auquel il a donné son nom vitaline ?), du préfet Eugène-René Poubelle (dont la carrière le mènera ad astra per aspera, des égouts au Vatican), de Balthazar (ce fils de Nabuchodonosor plus connu encore pour son festin – célébré par Rembrandt, par Calderón de la Barca et par Benjamin Fondane – que Babette), d’une Charlotte anonyme, du chanoine Félix Kir (l’inventeur étonnant de cet élixir que n’aurait pas désavoué le Révérend Père Gaucher), des frères Joseph-Michel et Etienne-Jacques Montgolfier (dont l’un des célèbres émules fut le magnat de la presse Malcolm Forbes), de Charles Macintosh (chimiste écossais qui découvre en 1823 un solvant idéal du caoutchouc permettant l’imperméabilisation des tissus) et de Leo Hendrik Baekeland (cet américain né en Belgique a aussi inventé le papier photo­gra­phique), tout en passant sous silence le Dr Guillotin et Vidkun Quisling de sinistre mémoire. Il fait allusion aux Bulgares, à la Dalmatie, au Limousin, au Panama et à la Perse. Mieux encore, il utilise les noms de marque Frigidaire®, Klaxon® et Kleenex®.

Ce procédé de dérivation de noms communs à partir de noms propres (dit « par antonomase ») enrichit la langue en créant des néologismes, et signale le passage du particulier au générique ; une fois adoptés, ces mots se lexicalisent. L’anglais – et surtout sa variante américaine – se prête bien mieux que le français à l’accroissement constant de son vocabulaire de cette façon (et de bien d’autres aussi), du fait du pragmatisme efficace de la société où il se parle. Parmi les nombreuses transformations à l’œuvre dans cette langue, la conversion d’un nom propre en verbe n’est pas rare, tandis que le français rechigne à l’accepter (lister et nominer en sont un bon exemple) : to xerox (« photocopier », dérivé du nom de Xerox, fabriquant de photocopieurs) ou to fedex (« expédier un paquet urgent en 24 heures »). Les compagnies concernées sont plutôt contentes de ce phénomène qui contribue à la popularité de leur nom de marque : l’un des vice-présidents de Federal Express s’enorgueillissait que sa société avait débuté par l’envoi de douze colis pour se transformer en une compagnie qui est devenue en 2006 un verbe (cité par Randy Savicky).

Mais cela ne plaît pas à tout le monde : un néologisme récent a eu l’heur de déplaire au titulaire d’un nom de marque mondialement connu (et pour cause) : il s’agit du verbe « to google » (avec les guillemets, en souvenir de l’imprimeur Guillaume), qui signifie « chercher dans [le moteur de recherche] de Google® », et, par extension, « chercher sur l’internet ». Ce géant, non content de contrôler toute l’information du monde, veut maintenant policer la langue, à l’instar du Ministère de la Vérité de George Orwell : considérant que cette utilisation « banalise » son nom de marque, il a envoyé une lettre au vénérable Washington Post dans laquelle il qualifie cet usage de généricide (encore un néologisme, à moins qu’ils ne l’aient breveté avant d’envoyer leur missive). Et comme il trace tout, il pourra retrouver les autres contrevenants et les assigner en justice, bien plus aisément que les sociétés de droit d’auteur à la recherche des abus du P2P.

Ridicule ? À l’ère où les mots se vendent (noms de domaine, mots utilisés par les moteurs de recherche pour incruster de la publicité dans les pages consultées…), leur propriété est devenue un marché fort juteux. Les noms communs devenus propres et interdits à la consommation, quel vocabulaire restera dans la novlang des générations à venir ? Quelques conjonctions, comme dans le titre de cet article ?

20 juillet 2006

Pire que les OGM

Classé dans : Cuisine, Humour — Miklos @ 21:09

Les agressions contre les fruits et légumes se poursuivent sans relâche. Sur la carte d’une brasserie boulevard Malesherbes, il est écrit en toutes lettres que leur salade norvégienne comprend des raped carrots. Quelle horreur ! Et dans le 8e, qui l’eût cru ! Quant à la Norvège, qui s’est opposée aux OGM, je ne peux la croire complice du forfait (bien qu’elle ait été responsable de la « prise » de nombre de baleines malgré le moratoire international sur leur chasse commerciale). J’espère que tout sera fait pour mettre fin au harcèlement sexuel insupportable d’un légume aux formes suggestives, au goût léger mais agréable, aux vertus si nombreuses et qui n’a pas manqué d’inspirer auteurs, réalisateurs et chercheurs. Est-ce justement pour ses qualités qu’on en abuse ainsi, comme pour se venger de sa perfection discrète ?

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