Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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30 janvier 2006

Le roi est nu

Classé dans : Publicité, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 0:27

Dans un article fort intéressant publié aujourd’hui dans le Sunday Times, John Lanchester analyse la puissance technologique quasi illimitée de Google, et conclut qu’« ils ont le pouvoir de détruire l’industrie de l’édition, la presse, le commerce de détail qui a pignon sur rue. Ils ne le feront pas forcément, mais, pour la première fois, si l’on y pense sobrement, c’est devenu technologiquement possible. Ils sont riches et déterminés, et sont là pour y rester. Ils savent ce qu’ils font, technologiquement. Sociologiquement, ils ne peuvent le savoir, et personne d’autre non plus. » Je passerai sur le fait que l’aspect légal ne semble pas les inquiéter outre mesure non plus, comme on l’a vu dans leur approche « déterminée » à la mise en ligne de contenus sous copyright (photos dans leur rubrique Presse, numérisation de livres).1

L’article déplore longuement la perte de l’innocence de Google qui s’est manifestée par leur récente décision de se soumettre au filtrage de l’internet en Chine, afin de pouvoir rafler ce marché au potentiel à nul autre pareil (et pourtant, c’était en 1973 qu’Alain Peyrefitte avait écrit le livre Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera) – ce qu’ils font d’ailleurs depuis septembre 2004. Elle met à mal sa prétention : “Organize the world’s [all of it] information [all of it] so it will be universally [to everyone] accessible”2. Arrogance ou utopie ?

Soyons généreux : utopie. Ce n’est pas la première fois, d’ailleurs, que la réalité met à mal les principes de Google : les deux fondateurs de Google ne déclaraient-ils pas : « Il nous semble que les moteurs de recherche financés par de la publicité seront biaisés, de façon inhérente. Il est donc crucial d’assurer l’existence d’un moteur de recherche transparent et situé dans le secteur universitaire. ». C’était en 1998, et maintenant on sait la place que prend la publicité chez Google. La réalité, en ce cas, c’est que l’information n’est pas un objet culturellement – et donc politiquement – neutre : les cultures (et donc les systèmes politiques et leurs lois) diffèrent de par le monde et l’on ne peut gommer cette différence, même dans le virtuel. Dans un récent ouvrage, L’autre mondialisation, Dominique Wolton, spécialiste des nouveaux médias et de la communication analyse leur impact sur notre exposition illimitée aux cultures du monde, et à la nécessite d’une réflexion sur la cohabitation culturelle et à son réancrage dans le physique (par contraste au virtuel) et dans le temps (par contraste à l’instantané).

Pour ma part, ces récents développements font écho à une inquiétude que j’avais soulevée déjà en 1999 : « imaginez un embargo d’une grande puissance sur une plus petite, qui aurait pour effet de lui couper l’accès aux réseaux… », puis derechef en mars 2004, lorsque le ministère de la justice américaine a enjoint aux éditeurs scientifiques de se plier à l’embargo américain à l’encontre de certains pays, et enfin en février dernier à propos du projet de numérisation de livres de Google : j’y exprimais l’éventualité que l’accès à cette « bibliothèque universelle » concentrée dans les ordinateurs d’une entreprise puisse devenir un enjeu politique, voire l’objet d’un embargo renouvelé.

Nous n’y sommes pas encore, mais on s’y rapproche. D’où la nécessité accrue d’adopter, pour une telle bibliothèque à prétention universelle, un modèle d’organisation répartie : les contenus (et leurs métadonnées) ne sont pas concentrés chez un prestataire, ce ne sont que les index qui y s’y trouvent ; c’est, d’ailleurs, ce que permet le modèle de réseau d’information que préconise Carl Lagoze dans un article très intéressant (dont la traduction en français a été récemment signalée dans Biblio-FR). Et de multiplier les prestataires.


1 L’article soulève aussi des inquiétudes au sujet du respect des libertés individuelles, dans la foulée de l’injonction du Ministère de la justice américaine de lui remettre certaines traces des recherches qui sont effectuées dans Google (afin d’étudier la prévalence de contenus pornographiques en ligne accessibles par des mineurs) – ce que Google s’est refusé de faire – l’auteur s’effare de la quantité de renseignements personnels que Google possède sur ses utilisateurs. Ce sont d’ailleurs des informations de ce type (lien entre numéro IP et courriel) fournis par Yahoo Hong Kong aux autorités chinoises qui leur ont permis d’arrêter le journaliste Shi Tao et de le condamner à dix ans de prison. Pourquoi s’effarer ? Eric Schmidt, PDG de Google, disait “We are moving to a Google that knows more about you” (« Nous allons vers un Google qui en saura plus sur vous », cité dans le New York Times du 10 février 2005).
2 « Concentrer toute l’information du monde pour un accès universel », objectif annoncé par le PDG de Google, Eric Schmidt.

27 janvier 2006

Aujourd’hui

Classé dans : Musique — Miklos @ 8:05

Boris Arapov, Juan Crisóstomo de Arriaga y Balzola, Daniel Anthony Baca, Marguerite Canal, Cláudio Carneyro, Arthur Mansfield Curry, Jean-Michel Damase, Gideon Klein, Edouard Lalo, Tigran Mansourian, Ysko Meriläinen, XXX, Hieronymous Preatorius, Eric Tanguy, Giuseppe Verdi, Johann Rudolf Zumsteeg…

22 janvier 2006

La musique des sphères

Classé dans : Musique — Miklos @ 12:10

Certains instruments de musique pro­dui­sent des sonorités que l’ima­gi­naire qualifie de célestes ou d’outre-tombe, à cause de leur nature psycho­acoustique étrange qui les rend diffi­ci­lement loca­li­sables – dans l’espace, dans le timbre, dans les fréquences ou dans l’attaque, voire dans le dispositif utilisé pour en jouer. Ainsi, l’un des tous premiers instruments électro-acoustiques mono­pho­niques, le theremin, inventé vers 1918 par l’ingénieur russe Lev Termen (ou Léon Theremin, selon l’orthographe, 1896-1993) que l’on voit ci-contre en jouer – sans le toucher. Son boîtier est équipé de deux tiges métalliques fonctionnant comme antennes pour contrôler la hauteur et l’intensité du son produit par un circuit électrique oscillant, selon que l’on rapproche ou écarte la main (ou toute partie du corps) de l’une ou de l’autre. La maîtrise de l’instrument requiert une très grande précision dans la gestique, qui permet de produire aussi bien des transitions continues (glissandi) que des notes distinctes. L’interprète semble plutôt diriger un orchestre que jouer d’un instrument, et certains theremins permettent même d’être utilisés en dansant.

Le répertoire classique du theremin n’est pas très fourni : transcriptions de pièces pour violon ou pour voix (voire pour Ondes Martenot, en Russie, où le theremin y est plus répandu que cet instrument bien français), et quelques compositions originales – de Percy Grainger (dont une œuvre pour 6 theremins – que l’on doit disposer à distance les uns des autres pour éviter des interférences électriques), Bohuslav Martinů, Edgar Varèse (Ecuatorial), Charles Ives (Symphonie n° 4), et plus récemment Kasper Toeplitz… Il sert surtout dans la musique de films de science-fiction, d’horreur ou de suspense (et notamment dans La Maison du Dr Edwardes, d’Alfred Hitchcock, avec Ingrid Bergman et Gregory Peck), ou dans des groupes de musique rock, hip-hop, filk (avez-vous bien écouté les Beach Boys ?)… Les deux grandes interprètes du theremin sont Clara Rockmore (1911-1998) et Lydia Kavina, petite nièce de l’inventeur, qui enseigne l’instrument au Conservatoire Tchaikovsky de Moscou.

Pour ceux qui souhaiteraient les écouter : The art of the Teremin (avec Clara Rockmore et sa sœur la pianiste Nadia Reisenberg) et Music from the Ether: original works for theremin (par Lydia Kavina) ou le bien moins classique Theremin noir. Enfin, un instrument si étrange ne pouvait être qu’inventé par un homme à la vie étrange ; Lev Termen aurait aussi été un agent du KGB. Un DVD (zone 1) en retrace des épisodes et contient quelques extraits de films, de performances et d’entretiens. Une biographie plus fournie est disponible en livre.

La quête de la musique aérienne a précédé l’utilisation de la Fée électricité : on trouve dès la Renaissance dans les orgues un registre tremulant ou tremblant qui utilise un dispositif mécanique pour faire vibrer l’air, tandis que ceux de la voix céleste et de vox angelica utilisent deux rangées de tuyaux légèrement désaccordés l’un par rapport à l’autre pour donner une sensation de trémolo. Mais un tout autre matériau est exploité musicalement depuis – au moins – le premier millénaire : le cristal, dont la vibration produit des sons qui n’ont cessé d’enchanter. En 1743, un irlandais, Richard Puckeridge, (ré)invente le Seraphim, composé de verres à pied de cristal remplis à des degrés différents, dont on frotte le rebord avec un doigt humide, produisant ainsi des notes de hauteurs distinctes. Benjamin Franklin, qui avait assisté à un concert, en perfectionne le principe : il conçoit un instrument composé de bols de cristal imbriqués de façon rapprochée et montés sur un axe qui pivote, ce qui permet au musicien d’en effleurer plusieurs à la fois et de produire ainsi des notes tenues et des accords, sans avoir lui-même à fournir le geste rotatoire. Succès immédiat, qui durera une soixantaine d’années. « Le glassharmonica fut interdit par un décret de police dans certaines villes d’Allemagne et disparut vers 1835. Parmi les raisons invoquées : ses sons font hurler les animaux, provoquent des accouchements prématurés, abattent l’homme le plus robuste en moins d’une heure et suscitent la folie des interprètes. »1.


Mozart : Adagio pour glass-harmonica KV 356 (617a)
Clemens Hofinger, glass-harmonica
C’est en 1791, l’année de sa mort, que Mozart compose le Quintette avec glass-harmonica en ut mineur K. 617, immédiatement après un Andante pour orgue mécanique, et qui a certainement été le clou du concert de vendredi dernier, donné dans le cadre de la série Prades aux Champs-Élysées – intégrale de la musique de chambre de Mozart (deuxième saison) au Théâtre des Champs-Élysées, où il fut joué par Thomas Bloch, l’un des très rares interprètes de cet instrument (ainsi que des Ondes Martenot, du Cristal Baschet…). Si j’avais déjà vu l’instrument dans des musées et entendu des enregistrements de l’œuvre, la voir et l’entendre jouée a été un moment fascinant – autant pour le spectacle (qui débute par un lavage de mains destiné à les humidifier…) que pour la musique elle-même, délicate et claire, combinant avec un art consommé le glass-harmonica avec flûte, hautbois, alto et violoncelle – dont l’atmosphère n’est pas sans rappeler celle des Bagatelles op. 47 pour harmonium, deux violons et violoncelle de Dvořák (dont on peut écouter un long extrait ici dans l’interprétation du Quatuor Panocha avec Jaroslav Tuma à l’harmonium).

Une autre œuvre à la sonorité curieuse donnée lors de ce concert était la Sonate pour violoncelle et basson en si bémol majeur, K. 292 : les voix profondes et naturellement étouffées des deux instruments (Giorgio Mandolesi au basson et François Salque au violoncelle) pouvaient faire penser à la conversation, parfois animé, parfois calme, de deux messieurs distingués d’un certain âge (malheureusement couverts un moment par un téléphone portable qui s’est déclenché pendant le Rondo). Le concert s’était ouvert avec le Trio avec piano en mi majeur K. 542 interprété par Abdel Rahman El Bacha, bel indifférent, accompagné de Régis Pasquier et de Frans Helmerson. À l’opposé de cette performance trop cool, celle trop passionnément romantique et imprécise (ça tue, chez Mozart) du Trio pour clarinette, alto et piano en mi bémol majeur K. 498, interprété par Michel Lethiec, Nobuko Imai et Jeremy Menuhin, méritait bien le surnom « Des Quilles » donné à l’œuvre… Quant à la dernière œuvre, le classiquement parfait Quintette à deux altos en sol mineur K. 516, elle fut splendidement jouée avec une intensité maîtrisée et nuancée par le Quatuor Talich et Bruno Pasquier, un moment de bonheur ; belle clôture d’un concert très intéressant.


1Julien Masson : « Les instruments de cristal : des verres musicaux au cristal Baschet ».

L’âme hongroise

Classé dans : Lieux, Littérature, Musique — Miklos @ 0:40

Je ne veux qu’un lecteur pour mes poèmes :
Celui qui me connaît – celui qui m’aime –
Et, comme moi dans le vide voguant,
Voit l’avenir inscrit dans le présent.

Car lui seul a pu, toute patience,
Donner une forme humaine au silence ;
Car en lui seul on peut voir comme en moi
S’attarder tigre et gazelle à la fois.
 
Attila József

« La poésie, comme la musique et la danse, convient excellemment à l’expression de l’âme hongroise »1 qui ne cesse de me fasciner. Lors de ma visite au Salon du livre en 2005, j’avais aperçu une édition bilingue d’un florilège des poèmes d’Attila József (1905-1937) et étais tombé sous le charme de ce poète passionné, révolté, blessé, et qui finira par se suicider après plusieurs dépressions. Malheureusement, cet ouvrage était épuisé et l’exemplaire exposé n’était pas vendu. Cette lacune vient d’être comblée par la parution de toute son œuvre poétique (voir note 1), précédée d’une longue présentation très intéressante de Jean Rousselot, qui dit si justement :

Ce que l’on aime tant chez Rutebeuf, chez Villon, chez Corbière, chez Endre Ady dont Attila devait subir fortement l’influence : ces retorsions et distorsions de la vrille du chant autour des choses, ces formules claquées, claquantes, qui font de la syntaxe une sculpture, ce baroquisme douloureux et grave de la couleur et de la plainte, tout cela est chez lui « énorme et délicat », fruste et tendre, fol et gémissant, moins dit qu’aventuré, moins raisonnable que senti, ou deviné, à travers la vapeur affective ou rêveuse qui rampe sur la plus sordide misère comme sur la joie la plus pure.

Cette sonorité, c’est celle du cri du peuple, c’est celle de la langue hongroise à l’accent merveilleux si étrange à nos oreilles (et dont Alain Fleischer parle si bien dans le texte que j’ai cité ici), c’est aussi, c’est donc, le rythme de la musique folklorique hongroise, celle que Bartók aura fait pour préserver et qui irriguera son œuvre. Attila József s’inspirera d’ailleurs à son tour de La Danse de l’ours de Bartók, mélodie dont il ne se lassait pas, pour composer un poème éponyme. Il en fera de même pour la Danse du porcher :

Mes cochons sont des cochons qui
portent leurs queues en mise en pli.
À la hongroise, dans leur groin,
resplendit un anneau d’or fin.
 
J’ai un porcelet qui zézaye
fait la princesse sans pareille
et, je vous assure, soupire,
se penche sur l’eau et s’y mire.(…)

C’est ce lien inextricable entre l’œuvre « savante » de Bartók et la musique populaire hongroise (et roumaine) que le concert enchanteur qui s’est donné aujourd’hui au Théâtre de la Ville a illustré d’une façon remarquable. L’excellent quatuor Takács y interprétait le Quatuor à cordes n° 4 (sur lequel la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker a créé un spectacle de danse), trois Duos pour violons Sz 98, la Sonatine et les Danses roumaines, tandis que l’ensemble Muzsikás a joué (et chanté) les mélodies folkloriques dont Bartók s’était inspiré, voire qu’il a citées, utilisées, transformées. Le concert a débuté par la diffusion d’un enregistrement de terrain que Bartók avait effectué il y a 100 ans, suivie par quelques œuvres populaires (dont des Danses de porcher qui ont inspiré Attila Jozsef) interprétées sur des instruments typiques de la région : violon, alto, contrebasse, percussions – et aussi le gardon (cf. image), instrument hongrois à cordes pincées et frappées, et une longue flûte de bois au son étouffé. Les mouvements du splendide Quatuor – œuvre incisive, rythmé et pleine d’humour, conjuguant modernité et tradition – ont été interprétés en alternance avec les musiques et les chansons populaires qui y sont évoquées. Même si cette présentation iconoclaste a éveillé l’ire d’un spectateur ahuri et quelque peu désorienté, elle a permis d’écouter le Quatuor d’une façon inattendue : simultanément à ses sources, éclairage enrichissant et pourtant fidèle, qu’il est d’autant plus rare (et utile) de trouver dans le cadre d’un concert consacré à une musique réputée (à tort) comme difficile. Cette alternance s’est poursuivie jusqu’à la fin du spectacle. Ainsi, le premier mouvement, Cornemuse, de la Sonatine, était précédé d’une chanson folklorique a capella dans laquelle Márta Sebestyén imitait l’instrument (rythme, sonorité), et dont le second mouvement, la Danse de l’Ours qui avait inspiré Attila József, était suivie par sa source folklorique. Enfin, les Danses roumaines au rythme enlevé ont, elles aussi, été présentées entrelacées avec leurs contreparties populaires. Quel plaisir, que ce concert intelligent et joyeux !


1Jean Rousselot : « Présentation d’Attila József », in Attila József : Aimez-moi. L’Œuvre poétique ». 703 p. Éditions Phébus, 2005. La qualité de la reliure laisse malheureusement à désirer, il est préférable de ne pas trop ouvrir l’ouvrage pour éviter que les pages ne s’en détachent.

10 janvier 2006

Mozart en Kit

Classé dans : Musique — Miklos @ 1:27

L’année Mozart commence, 250e anniversaire oblige (le 27 janvier). Il y aura d’autres « années Mozart », leur importance étant en rapport mathématique direct avec le diviseur (5, 10, 50, 100…) du quantième : à cette aune, c’est un pic relativement important. Indigestion promise en Autriche, du plus sérieux au plus futile. Chez nous, Abeille Musique diffuse un coffret de 170 CD comprenant toutes ses œuvres (certains enregistrements sont excellents) pour la modique somme de 99 €. Même Cuba va célébrer ce musicien bourgeois, dont l’anniversaire coïncide presque – quelle chance ! – avec celui de la création de l’Orchestre symphonique national par la Révolution cubaine, il y a 45 ans. La chaîne de radio britannique Radio 3, qui avait diffusé des intégrales Bach et Beethoven, a décidé de ne pas le faire pour Mozart, sous prétexte que cela ferait trop « bonbonnière de chocolat » (allusion aux célèbres Mozartkugel, dont 90 millions de pièces se vendent par an – bien plus qu’il n’y a eu d’auditeurs d’œuvres de Mozart dans l’année, probablement). L’empereur Joseph II l’avait dit avant, à Mozart en personne : « Trop beau pour nos oreilles, et trop de notes, cher Mozart ».

Au-delà des contraintes que le marketing impose à la culture, il y aura tout de même quelques nouveautés intéressantes. La British Library met en ligne le 12 janvier le Verzeichnüss aller meiner Werke (« catalogue de toutes mes œuvres »), le manuscrit de 30 pages dans lequel Mozart a répertorié les quelques 145 œuvres qu’il a composées de 1784 à 1791, quelques semaines avant sa mort, en en mentionnant l’instrumentation et citant les premières mesures. La réalisation sera remarquable : elle utilise un dispositif tourne-page qui permet de consulter des facsimiles de qualité de quelques trésors documentaires de cette bibliothèque, d’en tourner les pages (ou de le dérouler, comme dans le cas du Diamond Sutra, le plus vieux « livre » imprimé, datant de 868), de lire ou d’écouter des commentaires et des explications. Pour ce catalogue, on pourra aussi écouter des enregistrements sonores. Cette mise en ligne est conjointe à l’ouverture d’une exposition, Mozart’s Musical Diary, qui durera jusqu’au 10 avril.

La Mairie de Paris n’est pas de reste : le clou du Concert du Nouvel An qui s’est donné ce soir dans les grands salons de l’Hôtel de Ville comprenait une œuvre de Mozart. Ce qui a marqué l’audience (qui ne savait pas trop quand applaudir et surtout quand ne pas le faire) ce n’était pas tant l’œuvre (le concerto pour piano n° 19 en fa majeur, K. 459), ni l’orchestre (l’Ensemble orchestral de Paris, dirigé par John Nelson), mais le soliste : quand le chef l’a annoncé, personne ne l’a vu venir (sauf les spectateurs assis au premier rang)– et pour cause, Kit Armstrong est un petit garçon de 13 ans… qui a joué l’œuvre sans partition, s’il vous plait – il connaît déjà la moitié des concertos de Mozart par cœur, et son répertoire (limité surtout par la taille de ses mains, qui l’empêche d’aborder, par exemple, des œuvres de Rachmaninoff) va de Bach à Liszt, Debussy et Ravel. Il a commencé à se produire en public à l’âge de 8 ans, deux ans après qu’il ait commencé à composer. Son catalogue comprend une symphonie, un concerto pour violoncelle, un autre pour piano, quatre quatuors à cordes, un quintette à vents et un à cordes et de nombreuses pièces pour piano. Certaines de ses œuvres les plus récentes sont atonales. Il n’y a pas que la musique dans sa vie : passionné par les mathématiques, il en est à sa troisième année (universitaire), et va aborder la théorie des nombres (ce qui était mon domaine de prédilection) et les équations différentielles. Malgré cette précocité, c’est un enfant enjoué, qui aime rire et s’amuser…

Ce soir, assis au clavier comme un gentil petit garçon, sa chevelure d’ébène brillant comme le noir du piano, très attentif à la direction du chef, il a fait montre d’un jeu délicat, clair, précis, nuancé et musical, assuré, sans effets de manche – au contraire de celui de l’orchestre qui a manqué d’expressivité et dont le son net, énergique et parfois brutal et tonitruant couvrait par moments celui du piano et contrastait avec sa légèreté. Cette sonorité d’orchestre symphonique romantique – contraire à l’esprit d’une formation dite « de Mannheim » (orchestre de chambre tel qu’il en existait du temps de Mozart et de Haydn) – et qui n’a convenu qu’à l’œuvre qui clôturait le concert, l’Ouverture, Scherzo et Finale, op. 52, de Robert Schumann, étrange et quelque peu décousue, dont le premier mouvement semblait hésiter entre deux styles (les cordes plus classiques que romantiques, les vents bien plus schumanniens). La soirée avait débutée avec l’ouverture célèbre de L’Échelle de soie (La Scala di seta) de Gioacchino Rossini, légère et enlevée.

À écouter et voir : le site de la chaîne de radio publique américaine (NPR) offre un entretien (en anglais) avec Kit Armstrong (avec des extraits de ses performances) et une vidéo le montrant en répétition.

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