Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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29 mars 2007

La bibliothèque 2.0

Classé dans : Livre, Progrès, Sciences, techniques — Miklos @ 9:56

Il est très tendance1 de qualifier les développements techniques à l’aide d’un vocable ou d’un sigle qui devient tellement banal qu’il ne veut plus rien dire, mais que tout le monde continue à utiliser avec ravissement ou avec l’air entendu des cognoscenti. C’est le cas de « 2.0 ». Les prémisses étaient apparues avec l’Internet 2 (développement destiné à pallier la saturation des adresses sur le réseau). Le point-zéro s’est rajouté au Web 2.0 (on parle déjà du 3.0) et menace d’envahir même la politique (après Bush 2.0, Clinton 2.0 ?). Quant aux bibliothèques, elles sont notoirement à la traine, chargées d’un patrimoine qui s’accommode parfois difficilement de l’innovation. Eh bien, chers bibliothécaires, chères bibliothécaires, plus de raison de désespérer : la bibliothèque publique de Charlotte et du Comté de Mecklenburg (en Caroline du nord) a développé un programme destiné à former les bibliothécaires aux nouvelles technologies et à leur vocabulaire, et l’a mis en ligne. On pourra y apprendre (pour peu qu’on se débrouille avec l’anglais) 23 choses essentielles : ce qu’est un blog et comment en ouvrir un ; comment traiter les photos et les images (Flickr et les mashups) ; comment se tenir informé (RSS, lecteurs et agrégateurs de news) ; comment cataloguer (comment ose-t-on vouloir l’enseigner à des bibliothécaires, dites-vous ? il s’agit de catalogage individuel – de LibraryThing) ; la personnalisation et le partage social des informations (les folksonomies, les tags et Technorati ; les wikis) ; la diffusion (podcast, vidéocast). Soyez dans le vent, participez 2.0 !


Note :
1 Ou comment se comporter comme tout le monde, mais juste un peu avant.

27 mars 2007

« Alors pourquoi lire ? »

Classé dans : Livre — Miklos @ 22:47

Lire, c’est faire connaissance avec des gens, des lieux, des sujets, des situations, des époques, des cultures, des vécus, des aventures, des mémoires, des pensées, des savoirs, qu’on aura peu ou pas la chance de découvrir par soi-même, soit parce qu’elles sont révolues ou imaginaires, lointaines, inaccessibles ou si proches qu’on ne les voit pas. C’est voyager dans son fauteuil, c’est rencontrer des grandes et des petites gens, c’est comprendre comment elles auront vécu, ce qu’elles auront vu, senti, aimé, souffert. C’est parcourir les empires de la lune et du soleil, le Paris de Villon, la Venise des Doges, la Patagonie de Chatwyn, l’Islande de Jules Verne, l’Amérique de Hawthorne, la Russie de Pouchkine, l’Arabie des mille et une nuits, l’autre côté du miroir d’Alice sans y avoir été. C’est vivre les aventures d’un Chinois en Chine et de Rouletabille chez le Tsar, c’est accompagner Nils Holgerson ou le lièvre de Vatanen au cours de leurs merveilleux voyages, c’est découvrir la passion secrète de Fjordur et le monde étrange des Xipéhuz. C’est connaître la condition humaine : les affres et les joies de l’amour, les souffrances de la famine et de la misère, les épopées glorieuses et les massacres sans fin, les splendeurs et misères des courtisanes, la rêverie du promeneur solitaire. C’est apprendre ce que l’université de tous les savoirs met à notre portée sans avoir à s’inscrire ni à passer des examens. C’est avoir un regard dans un condensé, dans un essentiel – celui des pages du livre – qu’on n’a pas dans la réalité. C’est tenir l’univers dans sa main, le découvrir et l’explorer passionnément avec son imagination, c’est connaître l’autre dans sa diversité et le reconnaître dans sa proximité, c’est donc se connaître soi-même, et c’est partager tout ça avec ceux qui ne le savent pas encore, qui le découvriront grâce à nous et qui nous surprendront avec leurs propres découvertes. C’est échanger avec l’autre et se rapprocher de lui, c’est partager ou confronter une passion ou une détestation. Lire, c’est nourrir une faim sans fin, la curiosité. Lire, c’est se dépasser. (Réponse à Amandine)

23 mars 2007

Quand la BnF défie Google

Classé dans : Littérature, Livre, Sciences, techniques — Miklos @ 8:32

Mais ce pont d’Arcole, par sa situation, résistait à toutes nos attaques. Napoléon essaya un dernier effort de sa personne: il saisit un drapeau, s’élança vers le pont, et l’y plaça. La colonne qu’il conduisait l’avait à moitié franchi, lorsque le feu de flanc fit manquer l’attaque. Les grenadiers de la tête abandonnés par la queue hésitent ; ils sont entraînés dans la fuite, mais ils ne veulent pas se dessaisir de leur général ; ils le prennent par les bras, les cheveux, les habits, et l’entraînent dans leur fuite, au milieu des morts, des mourants et de la fumée. Le général en chef est précipité dans un marais ; il y enfonce jusqu’à la moitié du corps : il est au milieu des ennemis ; mais les Français s’aperçoivent que leur général n’est point avec eux. Un cri se fait entendre : « Soldats, en avant pour sauver le général ! ». Les braves reviennent au pas de course sur l’ennemi, et Napoléon est sauvé. Cette journée fut celle du dévouement militaire. — Las Cases, Le Mémorial de Saint-Héléne, tome II, p. 217. Garnier 1955.

En 1796, l’armée française remporte une victoire au pont d’Arcole, après qu’elle se soit enlisée – littéralement – dans un bourbier. En juin 1997, la Bibliothèque nationale de France attaque Arcole, opération visant à « communiquer sur internet un corpus francophone du XIXe siècle de 2400 œuvres, monographies ou périodiques et d’environ 6500 images, libres de droit (…) qui préfigurera les accès futurs aux 90 000 textes déjà numérisés depuis 6 ans par la Bibliothèque nationale de France. » Arcole deviendra Gallica qui, dix ans plus tard, contient toujours (ces) 90 000 volumes imprimés en mode image. Ce mode image avait soulevé à l’époque des débats concernant l’accessibilité des contenus : débits des réseaux, accès au texte pour malvoyants et pour ceux souhaitant travailler sur les textes, voire pour la recherche en texte intégral.

En mars 2007, la Bibliothèque nationale de France ouvre Europeana β, « prototype de bibliothèque en ligne développé dans le cadre du projet de Bibliothèque numérique européenne » et comprenant 12 000 documents en plusieurs langues, consultables en mode image ou texte (les déficients visuels ont heureusement été entendus). Le projet d’une bibliothèque numérique européenne avait pris corps au début de 2005, avec l’appel de Jean-Noël Jeanneney pour un sursaut culturel et politique de l’Europe face à l’hégémonie de Google qui avait déjà mis en place sa bibliothèque numérique. Il suggérait un grand projet européen, à l’instar de certaines entreprises du continent qui s’imposent mondialement, tels Airbus (face à Boeing). On sait les récents avatars du moteur franco-allemand dans ce dernier projet, on a vu le retrait fin 2006 de l’Allemagne du projet d’un autre moteur – de recherche, celui-ci –, Quaero (Europeana utilise Lucene), et l’on notera qu’Europeana propose, dans sa toute première version, des ouvrages provenant de ses fonds et de ceux de bibliothèques nationales de Hongrie et du Portugal. Pas d’Allemagne, ni d’ailleurs de Grande Bretagne, qui avait annoncé son intention de faire l’affaire avec Microsoft plutôt qu’avec l’Europe continentale. Un bourbier dans lequel le projet européen menace de s’enfoncer.

Europeana se présente simplement : une case pour la recherche simple dans les titres et dans les sommaires du fonds – ainsi que dans le texte intégral d’une partie des ouvrages1 – ou le choix de se balader dans les fonds selon l’époque (16e au 20e siècles), la langue, la provenance (France, Hongrie, Portugal) ou la discipline (sciences, philosophie, arts…). Une fois que l’on a effectué son choix, une liste d’ouvrages s’affiche à l’écran. Lorsque cette liste est longue – cherchez par exemple « amour » – les possibilités offertes pour réorganiser (trier) la liste voire la réduire (à l’aide des options dans le pavé Affiner) sont encore trop limitées, et des méthodes de recherche multilingues et sémantiques ne sont pas encore proposées. On se retrouve, finalement, là comme dans les moteurs traditionnels basés sur une recherche purement lexicale, devant une présentation linéaire de réponses.

Le premier livre que j’ai voulu consulter était curieusement signalé ainsi : « Amant+ rendu cordelier a :lobservance damours: +l’observance d’amour+ ». Lorsqu’on l’ouvre, on passe à une interface permettant de consulter les pages une à une, bien plus aisément et rapidement que dans Gallica ; on notera la possibilité de feuilleter le livre par table des matières (si elle existe), par vignettes (ce qui est utile surtout pour un livre illustré), ou simplement par la pagination (ce qui est inutile quand elle est inexistante, comme dans ce premier ouvrage consulté). On remarquera que chaque page possède une adresse distincte, ce qui permet de la référencer directement.

Le contenu – la page affichée – est bordé de pavés proposant des fonctionnalités que l’on connaissait auparavant, mais utilisant des techniques plus modernes connues sous le nom d’Ajax : on peut déplacer ces pavés sur la page, ce qui, pour le moment, tient plus du gadget que de la fonctionnalité essentielle ; d’autre part, ces pavés se redessinent lorsqu’on passe d’une page à l’autre dans un ouvrage, ce qui est assez gênant : imaginez que, lorsque vous feuilletez un livre posé sur une table, d’autres objets sur la table se mettent à danser… Parmi ces pavés : la recherche en texte intégral dans le document – difficile à réaliser pour ce texte à l’écriture gothique, qui n’a pas permis de fournir un mode texte cohérent ; voici ce qui s’affiche lorsqu’on passe à ce mode :

jbng &ce rc&gictiç çonitcre
Dint donner atout (eau 6miftt
buit que (a $tant mcfjc fut bute
3?e %te fa %ror bamppwcuttut
V>oitant ^ttgîtfaigc Ô0rrm«c
£>«î ftfta (amant gt ant gonneur
CI:î1D1. ta btff if tap parte

qui est supposé retranscrire l’original « De la nef et a loposite / Ung des religieux convers / Vint donner a tous leau benite / Puis que la grant messe fut dicte / Je veis la venir damp procureur / Portant ung visaige dhermite / Qui fist a lamant grant honneur ». Pour des ouvrages plus récents, cette recherche fonctionne correctement, en surlignant les occurrences retrouvées dans le texte (mode image ou intégral), et l’affichage en texte intégral est très majoritairement bon.2 Il est à noter que les contenus numérisés de la partie française d’Europeana ont été pris dans Gallica, et ne sont pas le résultat d’une renumérisation : leur qualité reflète donc celle de ce fonds numérique qui commence à dater.

La personnalisation est encore très limitée dans ce prototype : on peut se créer un « panier » de documents – mais, comme on le verra tout de suite, uniquement pour les fonds particuliers à la BnF et pas ceux fournis par ses partenaires. Il est possible de télécharger les ouvrages (ainsi que de les imprimer ou de les envoyer par courriel), qui s’affichent alors en PDF, ce qui est bien plus commode que le système qui était proposé dans Gallica. On aimerait voir la possibilité d’annoter ou de surligner les pages, de glisser des marque-pages3, de partager des annotations du texte (voire des métadonnées) avec d’autres lecteurs…4

En voulant consulter un ouvrage en portugais, j’ai été surpris de me voir « transporté » sur un autre site, celui de la Bibliothèque nationale numérique du Portugal5 : l’interface est donc tout à fait différente, ne s’intègre pas dans la personnalisation offert dans Europeana, et les contenus sont présentés dans d’autres formats (PDF). C’est aussi le cas pour les ouvrages fournis par la Hongrie.6

Le prototype que nous propose aujourd’hui la Bibliothèque nationale de France ne doit pas se bouder, s’il est destiné à se développer – et l’État a donné à la Bibliothèque nationale les moyens financiers de le faire – autant sur les fonds nationaux et européens que sur l’outil lui-même7. On devrait voir le volume augmenter de 130 000 documents en 2007, et de 100 000 documents par an « pour plusieurs années ». On souhaite, on espère et on attend la réussite de cette grande entreprise culturelle – défi que Jean-Noël Jeanneney a lancé avant tout à la BnF, tel Bonaparte à ses troupes devant Arcole.

(Ce texte a été corrigé et complété de notes après la présentation d’Europeana au Salon du livre ce matin.)


Notes :

1 La recherche globale dans l’ensemble des fonds présentés n’est pas (encore) proposée : ces fonds, comme on le verra, ne se trouvent pas tous dans le « système » de la BnF, mais dans ceux de chacune des bibliothèques participant au projet. On aurait toutefois pu mutualiser les index comme on l’avait proposé il y a deux ans. Il semblerait que ce sera envisagé dans le futur.
2 Catherine Lupovici, interrogée à ce sujet, a indiqué que cela devait avoir échappé à la vigilance du processus de reconnaissance du texte, qui évite d’afficher des contenus textuels reconnus à moins de 96% de fiabilité. On rappelle qu’il s’agit d’une version bêta.
3 Comme on l’a vu plus tard lors de la démonstration au Salon du livre, il est possible de « marquer » des pages pour les retrouver plus tard ; ces marques entrent dans un dossier propre à l’utilisateur, qui peut ainsi retrouver plus tard l’ouvrage et les pages qu’il s’est ainsi signalés. Il serait intéressant d’avoir aussi des marque-pages graphiques, s’affichant sous forme d’onglets du livre qu’on est en train de lire et de marquer ainsi.
4 Lors de la présentation qu’en a faite la BnF aujourd’hui au Salon du livre, il a été indiqué que des évolutions de ce type étaient envisagées. Il serait même question d’encourager la participation des lecteurs pour améliorer la qualité de la reconnaissance textuelle. C’est le principe selon lequel fonctionne le beau projet Gutenberg de bibliothèque numérique (créé en 1971). On se doute aussi que la BnF essaie d’éviter certaines dérives du numérique et des réseaux sociaux informatisés.
5 Qui utilise des adresses électroniques permanentes (« permanent URL »), excellente idée.
6 La BnF a précisé aujourd’hui que l’interopérabilité de ces bibliothèques – qui, aujourd’hui, ne concerne que la signalisation des ouvrages (partage des métadonnées à l’aide du protocole OAI – ce que j’avais envisagé en 2005) – a vocation à s’étendre aux interfaces et aux (index des) contenus. En d’autres termes, ce changement n’aura plus lieu d’être, même si le contenu se trouve réparti dans des fonds numériques distincts – cf. proposition signalée dans la note 1.
7 Ce développement bénéficiera tout d’abord à Gallica, qui évoluera dans ce sens, avec – éventuellement – une renumérisation et/ou reconnaissance renouvelée du texte selon que de besoin. Quant à l’intégration des bibliothèques nationales européennes entre elles, c’est une affaire loin d’être résolue : certaines font bande à part, d’autres n’ont pas encore les moyens de se joindre entièrement à un tel dispositif.

18 mars 2007

Un appel d’actualité brûlante

Classé dans : Politique, Société — Miklos @ 10:39

(…) Nous appelons d’abord les éducateurs, les mouvements sociaux, les collectivités publiques, les créateurs, les citoyens, les exploités, les humiliés, à célébrer ensemble l’anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance (C.N.R.) adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944 : Sécurité sociale et retraites généralisées, contrôle des « féodalités économiques », droit à la culture et à l’éducation pour tous, presse délivrée de l’argent et de la corruption, lois sociales ouvrières et agricoles, etc. Comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée ? Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.

Nous appelons ensuite les mouvements, partis, associations, institutions et syndicats héritiers de la Résistance à dépasser les enjeux sectoriels, et à se consacrer en priorité aux causes politiques des injustices et des conflits sociaux, et non plus seulement à leurs conséquences, à définir ensemble un nouveau « Programme de Résistance » pour notre siècle, sachant que le fascisme se nourrit toujours du racisme, de l’intolérance et de la guerre, qui eux-mêmes se nourrissent des injustices sociales.

Nous appelons enfin les enfants, les jeunes, les parents, les anciens et les grands-parents, les éducateurs, les autorités publiques, à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. Nous n’acceptons pas que les principaux médias soient désormais contrôlés par des intérêts privés, contrairement au programme du Conseil national de la Résistance et aux ordonnances sur la presse de 1944.

Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui commence, nous voulons dire avec notre affection : « Créer, c’est résister. Résister, c’est créer ».

Lucie Aubrac (†), Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin (†), Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont (†), Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant (†), Maurice Voutey
12 mars 2004

13 mars 2007

Ça n’a pas déchiré grave

Classé dans : Cinéma, vidéo, Littérature, Musique — Miklos @ 0:38

Not with a bang but a whimper.
T. S. Eliot, The Hollow Men (1925)

En me rendant au concert du groupe Bang on a Can All-Stars ce soir au Théâtre de la ville, je me demandais si j’aurais dû apporter des boules Quies : le niveau sonore du dernier de leurs concerts auquel j’avais assisté, plus élevé encore que le précédent, était à la limite du supportable, du moins pour mes oreilles habituées à des musiques plus classiques. Mais quelle joie de vivre j’avais perçue dans leur façon de jouer, et quelles belles œuvres, quels effets splendides ! En rentrant dans la salle, c’est ce à quoi on pouvait s’attendre : une collection impressionnante de percussions, guitare électrique, violoncelle, basse, piano et clarinettes amplifiés, synthé.

Hélas… très peu de tout ceci au rendez-vous hier soir. Personne à l’entrée ne cherchant désespérément à acheter un billet, plusieurs rangées vides dans la salle curieusement calme : j’avais rarement vu un public si léthargique avant un spectacle qui promettait d’être furieusement électrique. Mais le démarrage du concert n’y a rien changé : les premières œuvres se ressemblaient toutes, minimalistes à la Philip Glass – je n’ai rien contre le minimalisme, quand c’est celui d’un Terry Riley ou d’un Steve Reich, mais celui-ci n’en avait pas l’inventivité et la richesse, à l’exception d’effets de timbre parfois intéressants ; c’était principalement le cas de Overvoltage Rumble d’Annie Gosfield, où les instruments jouaient dans leurs registres les plus bas, produisaient des dissonances étranges et des bruits rythmés qu’accompagnaient des crissements de surtension électrique de synthé. Finalement plutôt new age et assez ennuyeuses, et le public les a applaudies assez mollement.

Deux ou trois œuvres (selon que l’on aime le jazz ou non) ont heureusement sauvé la soirée. Manhatta de Michael Nyman accompagnait – de façon classiquement minimaliste – le film muet éponyme de Paul Strand (1921), illustrant des vers de Walt Whitman1. Ce poète, qui a souvent utilisé la répétition pour susciter l’exaltation à l’égard du plus trivial des objets (Strange and hard that paradox true I give; / Objets gross and the unseen Soul are one2), ne pouvait manquer d’inspirer les musiciens minimalistes. Mais c’est le film qui ne manquait pas d’intérêt, six minutes à la gloire de la foule ordonnée, des machines industrieuses creusant le sol d’où s’élancent des buildings gigantesques à la conquête les cieux, tandis que des volutes de fumée s’échappent de tous les orifices de ce monde mécanique tel un souffle puissant qui les rend plus vivants que les habitants robotisés fourmillant dans les rues. Tout se trouve déjà dans Manhatta : on ne pouvait s’empêcher de penser à Metropolis de Fritz Lang (1927) ou aux Temps modernes de Chaplin (1936), et comprendre d’où Koyaanisqatsi – très beau film muet de Godfrey Reggio (1982) sur la nature et sa dénaturation par l’homme, plus seul encore dans la foule urbaine – tirait finalement ses principales références ; la musique de Philip Glass qui accompagne ce dernier film est tout de même plus « efficace » que celle de Nyman qui n’en possède que le style mais pas le souffle.

Une œuvre de Don Byron, qui n’était pas annoncée au programme, et écrite pour l’ensemble, Show Him Some Lub était assez originale par rapport au reste du programme : énergique et plus vive que ce qui avait précédé, elle mettait en valeur les instrumentistes, et intégrait de façon intéressante voix parlée – celle des musiciens, répondant à des questions non posées, celles de leurs propres identités multiples. Mais cela rappelait tellement Steve Reich (que j’aime beaucoup)…

Pour finir, trois courts morceaux qu’Ornette Coleman a composés pour l’ensemble – il fallait aimer le jazz – suivis d’une autre pièce de Don Byron donnée en bis. Le public n’a pas vraiment insisté pour en avoir un second.


Notes :
1 Ce film restauré est disponible sur le DVD Picturing a Metropolis. New York City Unveiled, qui comprend 26 films sur New York tournés entre 1899 et 1940 et produit par les Archives nationales américaines du cinema (National Film Registry)
2 « Je dis ce paradoxe étrange et difficile : les objets grossiers et l’âme invisible sont un ».

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