Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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30 novembre 2007

Cachez ce nom que je ne saurais voir

Classé dans : Actualité, Littérature, Médias, Société — Miklos @ 0:04

« Il y a un lieu droit au milieu du monde, distinct du Ciel, de Mer & terre ronde, d’où l’on voit tout ce qui se sait en quelque part que ce soit & d’où l’on entend tout ce qui se dit. C’est là que demeure la Rumeur en toute saison, ayant établi son séjour & maison sur le sommet de la plus haute tour, où l’on peut voir mille entrées & mille & mille fenêtres pour y recevoir les nouvelles de ce qui se passe de tous côtés. Il n’y a point d’huis aux portes, nuit & jour tout y est ouvert. Les murailles sont d’airain, qui sans cesse résonne & fait bruit, en ne cessant de répéter tout ce qu’il entend dire, en quelque lieu du logis on y parle toujours. Le repos, ni le silence ne sont point reçus là dedans, mais on n’y ouït point aussi de cris éclatants ; le bruit qui s’y fait est de mille voix basses, que les uns & les autres se soufflent aux oreilles. C’est un bruit tout tel que celui de la mer, lors qu’on l’entend de fort loin, ou tel que celui qui se fait en l’air, après qu’on a ouï quelques grands éclats de tonnerre. Les galeries sont pleines de peuple qui va & vient, contant toujours quelque nouvelle. Les mensonges y courent ordinairement pêle-mêle avec les vérités ; ce ne sont que bruits sourds, desquels la plupart repaissent leurs esprits curieux, & les autres les publient encore à d’autres, mais ce n’est pas sans croître le discours de quelque invention : car toujours celui qui le rapporte l’augmente en y ajoutant du sien. Là tout est plein d’âmes crédules, d’esprits légers & faciles à décevoir ; on n’y voit que vaines joies, que craintes, qu’appréhensions ; il y a souvent du trouble & des séditions, & souvent se font des rapports, desquels on ne trouve pas le premier auteur. En fait, rien ne se sait au Ciel dans les palais étoilés, rien sur Terre, & rien dedans l’enclos de l’humide royaume de Neptune, dont la Déesse qui tient là son siège, n’aie connaissance. » – Ovide, Les Métamorphoses, Livre XII.

Contrairement à d’autres organes de presse, le Journal du Dimanche a reporté la mise en garde à vue d’un homme soupçonné d’avoir commis une vingtaine de meurtres en ne donnant que l’initiale de son nom de famille et en assortissant l’information de précautions oratoires du style « Nicolas P. aurait commis… ». On se demande quel en est le sens, quand la photo de l’homme illustre l’article, et son nom – en entier – se trouve mentionné dans l’entête de la page et dans le nom du fichier contenant la photo (détails que nous avons masqués dans l’image ci-dessous).

Si l’horreur des crimes ne fait pas de doute, aucun tribunal ne s’est prononcé sur la responsabilité de l’individu1. Dans l’éventualité d’un non-lieu, ce texte – et tous les autres rapportant l’arrestation – continueront à circuler éternellement dans la galaxie numérique tout en accumulant un nombre croissant de commentaires de tous genres dans leur traîne ; il ne manquera pas de bonnes âmes pour dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu, l’écho de cette affaire ne s’éteindra pas et ne manquera de poursuivre cet homme : on a connu dans le passé les effets parfois tragiques de la rumeur que l’internet ne fait qu’entretenir et amplifier à l’infini, à l’instar de l’airain de la maison que décrit Ovide. Nihil novi sub sole.


1 C’est cette considération qui avait amené un tribunal belge à effacer du fichier en ligne reportant sa décision les noms des personnes impliquées dans une affaire pénale… sauf que le zélé fonctionnaire avait omis de le faire à la dernière page, où ils s’étalaient en toutes lettres.

24 novembre 2007

Le Havre vu de Paris, le soir

Classé dans : Lieux, Photographie — Miklos @ 12:58

11 novembre 2007

Scriabine sans extase

Classé dans : Musique — Miklos @ 1:33

« Vous savez, les souvenirs sont une chose très compliquée. Il vaut mieux ne pas retourner sur les lieux. » — Claude Pompidou

« Faute d’un clou le fer fut perdu, faute d’un fer le cheval fut perdu, faute d’un cheval le cavalier fut perdu, faute d’un cavalier la bataille fut perdue, faute d’une bataille le royaume fut perdu. Et tout cela faute d’un clou de fer à cheval. » — Benjamin Franklin, Almanach du pauvre Richard, 1758.

« Avec le mot “si” on peut faire tout ce qu’on ne peut pas faire. » — Pierre Dac

À l’instar des architectes de la tour de Babel, d’Icare, du Rab­bin Loeb de Prague ou de Dorian Gray, l’homme cherche à dépasser les contingences des lois de la nature : la distance, le temps, et – ultimement – la mort, signifiant ainsi son « refus d’être créature ». — Miklos, L’amour au téléphone.… ou tout ce qu’on ne devrait pas faire. Si l’homme arrive à repousser les limites de la distance, sur Terre comme aux cieux, s’il arrive à repousser les échéances iné­luctables du temps qui passe, il ne peut y revenir en arrière ni se projeter dans le futur. Et pourtant, les traces du passé laissent toujours espérer qu’on pourra le ramener à soi : le déterrer, le restaurer, le ramener des morts ou le recréer, faute de pouvoir y aller.

Ce sont les bribes, esquisses très fragmentaires, qu’a laissées le compositeur Alexandre Scriabine (1872-1915) de ce qui aurait dû être son grand œuvre qui ont fait l’objet d’une reconstruction impossible. Son ambition – wagnérienne ou nietzschéenne – était l’art total, l’œuvre ultime : alliant musique (orchestre, piano, orgue), chant (chœur, soprano), danse, poésie, architecture, lumières, odeurs et goûts… pour « proclamer et provoquer la fin de l’Histoire ». C’est une mouche (des étables) qui met terme à cette ambition : Scriabine meurt d’une septicémie provoquée par une piqûre de cet insecte.

L’accord de synthèse de Scriabine dans ProméthéeAurait-il seulement pu mener ce projet démesuré à terme, et cette mouche n’était-elle pas providentielle ? L’aspiration promé­théenne de Scriabine – qui s’exprime chez l’homme depuis la nuit des temps – se sera manifestée dans des œuvres achevées, telles Le Poème de l’extase ou le bien nommé Prométhée. Le Poème du feu1, extatiques et intenses, d’une richesse harmonique et timbrale chatoyante accompagnée d’un clavier de lumières matérialisant sa perception synesthétique.

On rêverait de savoir ce qu’aura pu être ce magnum opus, dont le titre, Mystère, a présagé son destin ; hélas, faute d’une mouche… C’est à l’exhumation archéologique du condensé que voulait en faire Scriabine qu’il nous a été donné d’assister vendredi à la Salle Pleyel. Les notes de programme ne savaient d’ailleurs comment qualifier cette œuvre : la première page indiquait « Alexandre Scriabine : L’Acte préalable (…) restitution de la partition par Alexandre Nemtine », tandis que le texte qui l’accompagnait mentionnait « Vers une reconstruction » en intertitre pour poursuivre en précisant « [Les esquisses musicales] sont si fragmentaires que les mettre en forme est davantage affaire de composition que de reconstitution » tout en accordant à peine quelques lignes au compositeur qui a produit cette œuvre d’une durée de trois heures à partir de ces quelques traces.

L’orchestre et les chœurs du Nord des Pays Bas et les solistes (Susan Narucki, soprano et Håkon Austbø, piano) ont fait de leur mieux sous la direction précise et dynamique de Michel Tabachnik. Mais ils avaient contre eux l’acoustique de la salle Pleyel : l’entrée du piano et l’un des soli de la soprano étaient masqués par le son de l’orchestre qui semblait démesurément amplifié selon la place que l’on avait dans la salle. Et surtout : l’œuvre elle-même. Les intitulés des mouvements (« étrange, charme, flamboyant, giubiloso extatique, grandiose et énigmatique, fermamente luminoso, avec une volupté radieuse… »), se sont révélés être un galimatias aussi fumeux que la musique qu’ils étaient censés nommer. Si, dans la première partie (« Univers »), on reconnaissait le style de Scriabine dans une sorte de best of, la seconde (« Humanité ») et bien plus encore la troisième (« Transfiguration ») en auront donné une vision anecdotique, répétitive, maniérée et statiquement frénétique : rien ne bougeait (sauf le public : la salle, qui n’était pas pleine au début du concert malgré les nombreux invités, s’est vidée après la seconde partie), ni tension ni extase, au contraire des œuvres de Scriabine. Un ScriHasBeen qu’on aurait pu laisser inaccompli au lieu de l’achever – dans tous les sens du terme – ainsi. « La manière dont on imagine est souvent plus instructive que ce qu’on imagine. » (Gaston Bachelard).


1 Que l’on peut écouter dans une très belle interprétation de l’orchestre et du chœur symphoniques de Chicago sous la direction de Pierre Boulez.

9 novembre 2007

Réflexion

Classé dans : Photographie — Miklos @ 8:10


« Que l’eau de dessous le ciel s’amasse en un lieu et que le sec apparaisse.
Ce qui fut fait. »
— Genese, I:9.
« Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre que dans les rêves de la philosophie. » — Shakespeare, Hamlet.
« Le sens commun nous apprend que la Terre est fixe, que le soleil tourne autour et que les hommes qui vivent aux antipodes marchent la tête en bas. » — Anatole France.

2 novembre 2007

Quand la fiction devient réalité

Classé dans : Actualité, Littérature — Miklos @ 1:54

« …à Paris, où tout le monde voudrait trouver une vingt-cinquième heure à chaque journée… » — Honoré de Balzac, Le Cousin Pons

« Du temps où je savais à peine lire, il y avait chez mes parents un polar intitulé Le treizième coup de minuit. Ce treizième coup était pour moi une entrée dans le rêve, un coup de baguette magique, déréglant les horloges, ouvrant sur un temps et des espaces inconnus. Mais je découvris bientôt la huitième merveille du monde, les septième, huitième et neuvième arts, la vingt-cinquième heure, etc. et lorsque longtemps après, rangeant une biblio­thèque, je retrouvai le vieux volume jaune défraîchi, la magie du titre s’était envolée. — Michel Volkovitch, La Cinquième saison

Les États-Unis, voulant croire mordicus à la fiction des armes biologiques irakiennes, sont entrés dans cette interminable et cauchemardesque vingt-cinquième heure, pour se trouver entraînés dans un maelstrom sanglant bien réel, danse macabre des temps modernes.

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