Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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29 septembre 2012

Un certain sourire

Classé dans : Actualité, Peinture, dessin — Miklos @ 0:15


France 2 : journal télévisé du 28 septembre 2012.

La flèche ci-dessus ne vise pas à attirer le regard vers le décolleté de la célèbre zygomateuse ; d’ailleurs, vous l’aurez remarqué, ce n’est ni tout à fait elle ni tout à fait une autre : il s’agit d’un tableau récemment dévoilé en Suisse (là où ils parlent un français qui n’est ni tout à fait le nôtre ni tout à fait un autre) qui serait celui de sa grande sœur, voire d’elle-même plus jeune, avant qu’elle ne découvre certaines réalités de la vie qui lui ont fait prendre cet air un peu coincé qu’on lui connaît.

Notre flèche est, en l’occurrence, dirigée à l’encontre de l’ortho­graphe de son nom ; ou plutôt de son appellation, qui n’est pas si contrôlée que ça. On n’a pas encore retrouvé sa carte d’identité, il serait donc présomptueux d’affirmer que la forme adoptée par France 2 est incorrecte, là où on est habitué à lire « Mona », avec un seul n. D’ailleurs, Pierre Rosenberg, autrefois président du Louvre (où s’expose la dame – que certains affirment en fait être un homme –, derrière une vitre si blindée qu’on y distingue plus les appareils photos des touristes qui visent ses mirettes que l’original), écrit, dans son Dictionnaire amoureux du Louvre :

Mais pourquoi « La Joconde » et « Monna Lisa » (ou « Mona Lisa ») ?

Pour ceux que la question interpelle, voici la réponse qu’il y donne :

Lisons Vasari (pas toujours fiable) : « Léonard se chargea, pour Fran­cesco del Giocondo, du portrait de Monna Lisa, son épouse. »

Il ne répond malheureusement qu’à la première partie de la question (et encore, en affirmant que rien n’est moins sûr), et continue, comme si de rien n’était, à l’appeler « Monna », tandis que le Louvre évite soigneusement d’utiliser ce titre dans sa notice en français, et écrit « Mona » dans la version anglaise.

Cette ambiguïté n’est pas récente : Arsène Houssaye, dans son Histoire de Léonard de Vinci, publiée en 1869, écrit en général « Monna Lisa » tout au long de son texte, mais quand il cite Vasari, orthographie « Mona Lisa », contrairement à ce qu’en a dit Pierre Rosenberg…

Selon le Rough Guide to Paris, la faute en est aux perfides Anglais :

“Mona Lisa” is, in fact, an English corruption of Monna Lisa – the historian Giorgio Vasari’s polite way of referring to madonna (my lady) Lisa Gherardini (…). 

et rajoute, comme le fait d’ailleurs Rosenberg mais avec un clin d’œil :

However, it’s not certain that the Mona Lisa depicts Monna Lisa.

Voilà, on est fixé : Monna est un diminutif de Madonna, le sujet supposé du tableau, qui s’intitule dorénavant Mona.

Quoi qu’il en soit, « Mona » a été utilisé en français il y a déjà fort longtemps : Isaac Bullart (1599-1671), dans son Académie des sciences et des arts, contenant les vies & les éloges historiques des hommes illustres qui ont excellé en ces professions depuis environ quatre siècles parmi diverses nations de l’Europe, avec leurs portraits tirés sur des originaux au naturel & plusieurs inscriptions funèbres, exactement recueillies de leur tombeaux, ouvrage complété, édité et publié par son fils Jacques-Ignace en 1682 à Bruxelles, écrit, dans le chapitre qu’il consacre à Léonard de Vinci, « cet illustre Florentin [qui] peut être mis au nombre de ceux en qui l’on rencontre par fois ces dons surnaturels que toute l’industrie humaine ne peut acquérir, et que l’on regarde comme les favoris du Ciel et les prodiges de la Nature » :

À ce propos, on ne peut manquer de signaler le beau portrait très singulier qui illustre le début de ce chapitre consacré à Léonard de Vinci, inspiré de celui qu’en a donné Giorgio Vasari dans l’édition de 1568 de son fameux Le vite de’ piu eccellenti pittori scultori et architettori. Le monogramme qu’on y distingue ici, « NDL », et qui se retrouve sur d’autres portraits de l’ouvrage de Bullart, est celui de Nicolas de Larmessin (1640-1725), comme on peut le constater grâce à l’inscription se trouvant sous l’une des autres gravures ainsi signées, De Larmessin, scul. (et ce que confirme la Biographie universelle de 1819), auteur des gravures grotesques de musiciens dont on avait déjà parlé.

De Larmessin est donc l’un des deux graveurs de l’Académie de Bullart, à propos desquels son fils écrit en préface :

Mon père […] appela pour ce sujet chez lui deux graveurs, qu’il tint plusieurs années à ses gages, leur faisant graver les portraits qu’il avait recueillis de divers endroits ; afin de rendre la mémoire de ceux qu’ils représentent, durable par le cuivre, & par la plume tout ensemble. […] Après quoi, pour mettre la dernière main à son ouvrage, je fis les éloges qui n’étaient pas encore composés, avec quelques autres dont je trouvai les portraits, & qui me parurent dignes d’y être ajoutés. […]

Peut-être aussi que tous les portraits ne plairont pas également, n’ayant pas tous une égale perfection ; quoi que faits par deux maîtres assez industrieux : mais j’espère qu’on excusera la rudesse qui se rencontre en quelques-uns, si l’on considère qu’ils ont été tirés après des estampes de bois, comme sont celles de Vasari, & qu’il est difficile de faire une bonne copie d’un méchant original. Il y en a beaucoup d’autres (je peux dire la plupart) pris sur des estampes de cuivre, où le burin a mieux réussi ; & il n’y en a point dont je ne puisse produire les originaux, la plus grande partie desquels je conserve avec le manuscrit de mon père.

Voici le portrait de Léonard de Vinci tel que le représente Larmoissin dans cet ouvrage :


Portrait de Léonard de Vinci, in l’Académie des sciences et des arts d’Isaac Bullart (1682)

Et voici « le méchant original » qu’on peut trouver dans une édition de 1568 de l’ouvrage de Vasari :


Giorgio Vasari : Portrait de Léonard de Vinci, in Le vite…, 1568
(cliquer pour agrandir)

On remarquera que l’une est l’image-miroir de l’autre, ce qui n’est pas le seul cas d’un tel renversement dans l’Académie de Bullart, résultant sans doute d’une copie droite par Larmessin de l’original vers sa planche à graver, et donc d’une inversion à l’impression ; en voici un autre exemple :


Portraits du cardinal Ægidius Albornotius (Gil Álvarez Carrillo de Albornoz)
À gauche, in Henri Albi : Eloges historiques des cardinaux illustres françois et estrangers mis en parallele avec leurs pourtraits, 1644.
À droite, in Isaac Bullart : Académie des sciences et des arts, 1682.
(cliquer pour agrandir)

On avait d’ailleurs utilisé intentionnellement ce procédé dans un contexte curieusement connexe à celui qui est à l’origine de ce billet-ci.

En passant, on signalera que la bibliothèque numérique de l’Institut national de l’histoire de l’art contient la reproduction d’un portrait de Thomas Willeborts, qui porte un mono­gramme identique à celui qu’on a vu et où ils lisent incorrectement « DVL » (ce que nous avions fait aussi à l’origine et qui nous a mené vers cette page de l’INHA…) et dont ils n’identifient pas l’auteur. Il s’agit donc de « NDL », signature de Nicolas de Larmessin, et cette estampe provient, elle aussi, de l’Académie d’Isaac Bullart. L’original que Larmessin a copié et inversé est dû à Antoine van Dyck (1599-1641). Quant à son sujet, il s’agit, comme l’indique une autre estampe de l’INHA, de Thomas Willeborts Bossaert peinctre très renommé, travaill admirablement bien en grandes figures, estimé pour pouvoir faire un pourtraict exactement bien, Son Altesse le Prince d’Orange Henry Frederic luj a faict faire beaucoup de pièces, comme aussi son filz le Prince Guillaume, aussi pour d’autres monarques, son maistre estoit Gerard Segers, est né de Bergue sur le Zoom l’an 1613 et demeure à présent à Anvers. Le leur ayant signalé, on espère qu’ils corrigeront leur notice sur le fond et sur la forme.


Notice de l’INHA concernant une estampe du portrait de Thomas Willeborts Bossaert
par Nicolas de Larmessin (cliquer pour agrandir)

28 septembre 2012

מרתה אברון

Classé dans : Actualité, Histoire — Miklos @ 17:45

אינני זוכר איך הכירו אבי ודב אברון זה את זה, כנראה במקוה ישראל שם היו שניהם מדריכים לפני קום המדינה.

אבל זוכר אני כ”כ טוב את ביתם החם שלו ושל אשתו מרתה שזה עתה הלכה לעולמה, בשד’ בני ציון בצל העצים. היה זה רובע שהכרתי עוד לנפי שבקרתי אצלם בפעם הראשונה לכשהתידדתי עם בנם יוסי, בהיותו במרחק מספר צעדים מרחוב בוגרשוב בו גרה אחותו של אבי מימים ימימה, אליה הגעתי כבר בשנות החמישים כאשר אפשר יהיה עוד לראות ברחוב עגלת קרח רתומה לסוס.

אני זוכר את אותו זוג הקורן שמחה ואינטליגנציה, דרך ארץ ואנרגיה, תרבות יהודית פתוחה מלווה וויץ אפיני, ואף את אחיה של מרתה. היו בני דור שהיתה זאת זכות גדולה להכירם, אנשים שגדלו בקשיים ושחיו לא רק למען עצמם, כאלה שנתו לאלה שהיו במחיצתם ללא ספור כאילו הם מלאי אין-סוף של משהו גנוז שהוא היום עוד יותר חיוני כי יותר נדיר מתמיד.

תנצב”ה.

23 septembre 2012

Cré nom de nom !

Dans notre société, les noms de famille marquent publiquement et identifient officiellement un lien de parenté « tribale » (et donc économique…) par filiation ou par mariage, ce qui n’est pas forcément le cas ailleurs : dans nombre de pays, on s’appelle encore X fils (ou fille) de Y, ce qui n’indique en général qu’une filiation immédiate : c’est le cas en Islande – à l’instar de leur premier ministre Jóhanna Sigurðardóttir et de leur président Ólafur Ragnar Grímsson – sauf dérogation (que Vladimir Ashkenazy a obtenue en prenant la nationalité de ce pays) ; en Russie et chez les émigrés russes (Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev, Nina Nikolaevna Berberova) ; en Arménie (Souren Melikian – ce qui signifie « fils de roi ») ; en arabe (Abdallah ben Abdelaziz ben Abderrahman ben Fayçal ben Turki ben Abdallah ben Mohammed ben Saoud, qui n’est pas que fils de roi, puisqu’il l’est lui-même aussi)…

Jean Dupont demande au Conseil d’État à changer son nom de famille en Durand. Lorsque le fonctionnaire lui en demande la raison, il explique : « Maintenant, quand on me demande comment je m’appelais avant, je dois répondre “Finkelszteyn”. Quand je m’appellerai Durand, je pourrai répondre à cette question en disant “Dupont” ». (Histoire juive)L’obligation de changer de nom – que ce soit pour se protéger, tel un Raymond Samuel devenu Aubrac, pour faciliter l’intégration d’un nouvel immigrant par choix personnel (pour que leur enfant ne soit pas la risée des « petits Français » de sa classe, pour faciliter l’embauche ou la location…) ou par nécessité sociale ou légale (comme en Islande) – est loin d’être anodine (j’en sais quelque chose). En France, où l’« unité de la langue » a longtemps été un principe rigoureux au point d’interdire l’usage de langues régionales, la francisation des noms était aussi une affaire politique : il suffit de lire un article édifiant datant de 1947 consacré à ce « problème » national, « La francisation des noms de personnes », d’Étienne-Abel Juret, publié dans Population, 2e année, n° 3.

S’il n’était pas obligatoire, ce changement était – en France – irré­ver­sible, jusqu’à très récemment. Fruit d’une décision souvent circons­tan­cielle, il pesait sur toutes les générations suivantes, nées en France, et qui ne portant plus le poids de la nécessité d’origine, souhaitaient récupérer, à juste titre, ce qu’elles considéraient comme une partie de leur identité familiale. On lira à ce propos avec profit le très intéressant ouvrage de Nicole Lapierre, Changer de nom, publié en 1995 (extrait disponible ici), et, plus récemment, l’article « Avec cette francisation, je me suis senti étranger » (quel beau titre !) de Libération du 20 janvier 2010. Nicole Lapierre est aussi interviewée dans une récente émission de la Fabrique de l’histoire (que l’on peut écouter ci-dessous), aux côtés de Raymond Aubrac, Émilie Berrebi (psychanalyste), Alain Didier-Weill (psychanalyste), Jérémie et Claude Fazel, Lucien Finel, Julien Grassen-Barbe et de Céline Masson, psychanalyste et fondatrice du collectif La Force du nom, qui a milité avec succès pour que le Conseil d’État, seul habilité à autoriser les changements de noms dans un sens, les autorise dorénavant dans l’autre : il a obtenu un revi­rement de la juris­prudence, et c’est dorénavant le ministère de la justice qui s’en occupe.

Les prénoms, eux, servent à distinguer, à particulariser un individu dans la famille ou dans la lignée, sans forcément le singulariser tout à fait (existe-t-il des prénoms qui seraient des hapax ?) : on nomme un nouveau-né parfois d’après un saint, d’après un ancêtre, d’après la mode et surtout d’après les héros d’un jour de la téléréalité omniprésente. Dans le cas où un même prénom est utilisé de génération en génération, on rajoute un numéro d’ordre, et pas uniquement chez les rois ou chez les papes : c’est assez courant chez les Américains, où les dynasties de l’argent et du pouvoir sont des pâles substituts à celles de la noblesse : John Davison Rockefeller IV est le fils de John Davison Rockefeller III, lui-même fils du n° II et petit-fils du premier (qui, lui, ne portait pas de numéro d’ordre mais les trois mêmes noms), fondateur de la Standard Oil Company et de la fortune de ses descendants. Biz CXX ! comme on dirait en yiddish.

Les prénoms servent aussi à indiquer un rapport de familiarité (mais pas forcément de famille) – on n’appelle pas n’importe qui par son prénom – mais surtout dans leurs déclinaisons amicales ou intimes sous forme de diminutifs. Contrairement à ce que l’appellation de ce procédé pourrait le laisser entendre, il ne raccourcit pas toujours le vocable surtout quand il est déjà court – c’est la distance entre les locuteurs qui diminue (cas particulier de l’hypocoristiqueTerme qui exprime une intention caressante, affectueuse,
notamment dans le langage des enfants ou ses imitations.
) : ainsi, Anne et Jean donnent Annette ou Nanou et Jeannot ou Yannick (il en va de même en d’autre langues : Anna se transforme en Anniouchka en russe, Carmen en Carmencita en espagnol, etc.).

La combinaison des deux (ou trois, ou quatre… selon le nombre de prénoms et/ou la juxtaposition de plusieurs noms de famille lors de mariages, par exemple) n’étant pas unique non plus, les autorités et les organismes qui souhaitent pouvoir contrôler chaque personne individuellement leur attribue un numéro unique (et parfois plusieurs, ce qui est contradictoire, mais passons) : numéro d’identité, numéro de sécurité sociale, numéro fiscal… (j’en possède actuellement 28, sauf erreur ou omission de ma part comme dirait ma banque). Ce numéro doit servir à distinguer un Jean Dupont de tous les autres Jean Dupont.

« Chose vraiment étonnante – et pourtant si commune qu’il faut plutôt en gémir que s’en ébahir – de voir un million d’hommes misérablement asservis, la tête sous le joug, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d’un, qu’ils ne devraient pas redouter – puisqu’il est seul – ni aimer – puisqu’il est envers eux tous inhumain et cruel. » — Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire.Avec l’omniprésence croissante du numé­rique et la nécessité qu’elle implique d’une précision accrue dans l’information (1984 de George Orwell et Brazil de Terry Gilliam y décrivent un ministère qui lui est consacrée), la tendance à nous définir par des nombres ne fait que se développer – l’émergence du Web sémantique, nécessitant des « identifiants uniques » pour tout objet informationnel, l’encourage – et en arrive jusqu’au tatouage numérique (par implantation de puce RFID), non seulement d’animaux mais d’êtres humains. Cette pratique n’est pas récente, on en a rappelé les sinistres antécédents et les dangers inhérents (localiser, organiser, surveiller, contrôler, dominer). Et dire qu’on s’y laisse souvent entraîner par ignorance ou par facilité : les nouveaux objets techniques qui nous entourent dorénavant sont de plus en plus désirables, comment résister à l’envie d’acheter un nouveau téléphone qui nous localisera encore plus précisément que le précédent, de fournir toutes ses informations les plus personnelles à son réseau social favori, de se lier de façon croissante dans cette toile d’araignée portée par le Web (c’est le sens de ce mot anglais). Comme le constatait déjà Étienne de La Boétie en 1549…

21 septembre 2012

Google, dites-moi où, n’en quels pays, se décide la légalité de la corrida en France

Classé dans : Actualité, Histoire, Médias, Religion, Société — Miklos @ 21:54


À la une de Google News ce jour

Selon Google, la question de la conformité de la corrida avec la constitution française se décide non seulement au conseil constitutionnel (français) – qui, horresco referens, l’a confirmée – mais également aux États-Unis qui vont dans le même sens (ce qui ne manque de surprendre), tandis que le Comité anti-corrida en Haïti s’est (naturellement) prononcé contre. L’Europe n’arrivait pas jusqu’ici à s’unir, le monde vient-il de le faire autour de ce sanglant divertissement ?

La tentative d’éradication de ce type de sport – en France du moins – n’est pas récente. Jean-Louis de Fromentières (1632-1684), nommé évêque d’Aire en 1673, était arrivé à faire abolir la course (équivalent littéral de l’espagnol corrida) de taureaux à Mont-de-Marsan, comme on peut le voir ci-dessous mentionné dans un passage de l’introduction à l’édition posthume de ses sermons datant de la même époque. Des textes du XIXe siècle portent à son crédit d’être venu à bout « de faire abolir les combats de taureaux, restes impurs des spectacles sanglants de l’ancienne Rome ».


Extrait de la préface des Sermons de Messire Jean-Louis de Fromentières,
Évêque d’Aire et Prédicateur ordinaire de Sa Majesté
. Paris, 1692.

Fromentières n’était pas le seul à s’être attaqué à cette pratique barbare. Jean-Baptiste Dubos écrit, en 1732, dans ses Réflexion critiques sur la poésie et sur la peinture :

Malgré les efforts des Papes pour abolir les combats de taureaux, ils subsistent encore ; et la nation espagnole, qui se pique de paraître du moins leur obéir avec soumission, n’a point eu dans ce cas-là de déférence pour leurs remontrances et pour leurs ordres. L’attrait de l’émotion fait oublier les premiers principes de l’humanité aux nations les plus débonnaires, et il cache aux plus chrétiennes les maximes les plus évidentes de leur religion.

Il s’agissait alors de mettre fin à la mort d’hommes plutôt qu’au carnage de ces bêtes, cette dernière considération est le fait de la modernité. Quant à la conclusion de Dubos, elle est aussi valable aujourd’hui qu’en ces temps révolus.

Enfin, pour ceux que le curieux titre dont Google affuble cette nouvelle, « Sages d’une question prioritaire… », interpelle, on leur signalera qu’il résulte d’une décision purement arbitraire du moteur, qui a sélectionné pour ce faire la dernière ligne du troisième paragraphe de l’article de 20minutes.fr (qu’on peut voir ci-dessous) en lieu et place du titre de l’article, « Corrida : La pratique jugée conforme à la constitution », bien plus compréhensible pour le commun des mortels.

Qui langue a, à Rome va. (Dicton)

Classé dans : Langue — Miklos @ 9:50

Les accents sont de ces mélodies très familières ancrées au plus profond de nous. Il suffit que je passe non loin d’un groupe de touristes pour que j’identifie la langue qu’ils parlent, sans même distinguer ce qu’ils disent, parfois sans même la connaître ni a fortiori la comprendre, au timbre de la voix et à l’intonation, à l’ouverture ou à la fermeture de certaines voyelles ou à la nasalisation de diphtongues, au roulement des r ou au chuintement des s, à l’accen­tuation des syllabes, à leur phrasé. Il suffit parfois d’un mot, voire d’une syllabe, la toute première, pour reconnaître la langue maternelle d’une personne qui s’adresse à moi en français : quand Benny, que je ne connaissais pas alors, est entré dans mon bureau en me disant Bonndjour !, je lui ai répondu Shalom !, et nous avons débuté notre conversation en hébreu. N’arrive-t-on pas à reconnaître parfois une sonate de Scarlatti ou une valse de Chopin, une œuvre de Philip Glass ou un tango argentin dès la première mesure, quand bien même lorsqu’on ne les avait encore jamais entendus auparavant ? Il en va ainsi des langues.

Depuis ma naissance, j’ai respiré un air imprégné d’accents de tant de diasporas, à commencer au berceau par ceux de mes parents puis en Israël par la multiplicité des origines de ses habitants. Ces accents étaient non seulement musique à mes oreilles mais goût à ma langue comme toutes ces cuisines que les Juifs errants avaient apportées avec eux  : dès que j’ai commencé à parler, je les ai imitées de mieux en mieux sans en connaître souvent les langues (ce qui me dessert dans des pays où je vais en visite, lorsque je demande mon chemin avec un parfait accent mais ne peux comprendre la réponse) : le hongrouah (difficile à rrrrrestituer par écrit, regardez donc la vidéo ci-dessus) ou l’accent si bwitish, si distingué, d’Abba Eban (alors ministre des affaires étrangères), lui qui avait fait ses études à Oxfo’d (ou est-ce Cambwidge ?) – Guy, avec lequel je m’amusais à singer ces personnalités, le faisait bien mieux que moi –, l’accent roumain plus populaire, l’espagnol très tonique, le yiddish (lequel, celui du litvak ou le poylish, variantes aussi reconnaissables que les accents régionaux en français ?) si… si… Le yiddish, c’est la langue de mes tréfonds, il est inqualifiable.

Comme je l’avais déjà raconté, le premier accent que j’ai entendu était celui de mon père qui, né en Pologne, avait grandi dans le polonais, le yiddish puis l’hébreu (parlé, pas uniquement liturgique), et pour qui le français qu’il parlait avec ma mère (qui, elle, venait d’Odessa et n’avait appris le français qu’à l’adolescence tardive à son arrivée en France) était sa cinquième ou sixième langue. Il avait un mal fou avec les u (qu’il prononçait parfois ou, parfois i), avec les i qu’il arrivait à nasaliser ; quant aux diph­tongues, n’en parlons pas : son oui sonnait parfois vi, parfois bi. À moi, il me parlait en hébreu, « sans accent », ce qui ne veut rien dire, on a toujours un accent, mais quand c’est celui de la majorité, on dit que ce sont les autres qui en ont.

C’est en Israël que j’ai finalement appris à aimer l’anglais, grâce à un instituteur génial dont j’ai parlé ailleurs, de ces maîtres qui peuvent influencer durablement le cours d’une vie en bien comme en mal. Il avait pourtant un accent polonais (quand j’ai suffisamment connu cette langue au point de pouvoir y faire des calembours, j’ai dit de lui He used to Polish our English - en prononçant Polish avec un o long, ce qui veut dire « polonais » et non pas « polir »). Quand je suis parti étudier aux USA, j’avais un assez bon semblant d’accent (et de vocabulaire) pseudo-british, et avais tenté de résister à son améri­ca­nisation, ce qui était ridicule, à Rome il faut faire comme les Romains (il est vrai que j’avais aussi fait du latin, mais à Rome il suffit de parler avec les mains). Revenu en France, je parlais ma langue maternelle, le français, avec un tel accent qu’on me prenait pour un Yankee. Si, après bien des efforts, je suis arrivé à m’en débarrasser, il m’en reste toujours des traces dans les interjections, dans quelques expressions ou tournures de phrase. Et les faux amis se pressent à mes lèvres quand je suis vraiment fatigué.

Avant ce retour, j’étais venu passer un an à Paris à la suite de mon directeur de thèse, américain. J’avais sous-loué une chambre dans son appartement en attendant d’en trouver un pour moi. Un jour que je rentrais à la maison, il me dit – en anglais, il n’était jamais arrivé à maîtriser le français à l’exception des dialogues parfois amusants de la méthode Assimil – que la concierge (c’était avant qu’elles ne deviennent des gardiennes, puis ne finissent par disparaître) lui avait dit quelque chose qu’il n’avait pas très bien compris, il devait s’agir d’un problème avec la cuisine. Parti me renseigner, il s’avère que c’était ma cousine qui m’avait laissé un message. Confusion de moindre conséquence que celles entre « cou », « cuit » ou… « cul », par exemple. J’aurais dû lui recommander la lecture de l’ouvrage ci-contre…

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