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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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30 avril 2020

Apéro virtuel XXXIX : la vielle à roue ne tue pas toujours – le guide-chant – bonnes villes – la brunette – du libertinage épistolaire et sa caractérisation jungienne – les classes d’antan comme modèles pour le déconfinement ?

Classé dans : Actualité, Arts et beaux-arts — Miklos @ 4:24

Vielleux. Cliquer pour agrandir.

Mercredi 29/4/2020

Notre apéro a commencé par une description de la méthode employée pour qu’un organiste assis à la tribune de son orgue puisse voir « en temps réel » le chef d’orchestre d’un ensemble (et/ou chœur) avec lequel il devrait être parfaitement synchronisé. Puis Jean-Philippe ayant apporté une bouteille de Mort Subite (allusion à l’épisode de musique mortifère de la veille ?), tous les présents ont comparé la taille des leurs (bouteilles, s’entend).

Michel a consacré sa présentation aux aspects non mortifères de la vielle à roue, en montrant un montage de brefs extraits de cinq vidéos concernant cet instrument : deux extraits de musique traditionnelle (La montée des bois de Vaux, air du Morvan, interprété par Éric Raillard, suivi d’Aequilibrium. Medieval Tune With Organ, composé et interprété par Andrey Vinogradov), où l’on voit la variété des instruments et des techniques de jeu (y compris la façon de tourner la manivelle) ; puis un court passage de l’histoire de l’instrument (Vielle à roue 101 raconté par le musicien Nicolas Boulerice) depuis son apparition vers l’an 1000 en France ou en Espagne – bien plus grand alors qu’aujourd’hui et appelé organistrum –, d’abord comme instrument céleste, puis instrument du diable et enfin celui de la noblesse et des compositeurs « sérieux », dont Vivaldi et Mozart ; et donc, pour finir, deux extraits d’œuvres classiques avec vielle à roue : « L’hiver » d’après Les Quatre saisons de Vivaldi puis un thème et variations sur un air bien connu et choisi spécialement pour Françoise (C.), La servante au bon tabac, tirée du Concerto n° 7 de Michel Corrette. Ces deux extraits étaient interprétés par la vielleuse Michèle Fromenteau, dont les enregistrements sont heureusement disponibles sur YouTube. Après la diffusion de cette vidéo, Sylvie se souvient d’avoir entendu dire que l’organistrum était si grand qu’il fallait plusieurs personnes pour en jouer. En parlant d’anciens instruments, Françoise (C.) a évoqué le guide-chant, ce qui a rappelé à Michel Mademoiselle Farenc, sa professeure de chant (et de solfège) en 9e, qui venait avec son guide-chant, et leur avait appris, entre autres chansons pour enfants, Ton humeur est, Catherine, plus aigre qu’un citron vert et C’étaient trois hussards de la garde / Qui s’en revenaient de combat. / Ils chantaient de façon gaillarde, / Et marchaient d’un air dégagé. Françoise (P.) a demandé à Françoise (C.) si elle se souvenait qu’elles avaient chanté lors d’un concert avec l’Orchestre de Paris où il y avait, parmi les instruments, la « Cloche Boris » qui devait peser une tonne. Elle ne se souvient pas de l’œuvre. Berlioz ? Mahler ? Un compositeur russe ? En tout cas, cette cloche étant si lourde, son utilisation était exceptionnelle. Michel a alors demandé à Françoise (P.) si elle pouvait éclaircir le mystère sur l’œuvre de Cage pour 40 pianos dont elle avait parlé il y a quelques jours, œuvre qu’elle aurait entendu lors d’un festival de Beaune, d’autant plus que ce festival annuel est consacré à l’opéra. Étonnée, elle a répondu que le festival auquel elle se rendait annuellement en Allemagne était consacré au piano. Et c’est Jean-Philippe qui a dénoué le mystère : il s’agissait là de Bonn… question de pronon­ciation (et comme l’a dit François plus tard, il ne s’agissait pas non plus de Bône en Algérie). Il en a profité pour demander spécifiquement à Michel quelle était la ville jumelée avec Bonn ; à quoi Michel a répondu, « Puisque tu me le demandes, ce doit être Tel-Aviv… ». C’était bien ça. Et donc, on en a profité pour trinquer à la bonne santé (tout en n’ayant pas encore résolu le mystère Cage).

Pour faire suite à la chanson judéo-espagnole qu’elle avait présentée hier, Sylvie nous parle ce soir d’une chanson tirée du même répertoire ; elle daterait du XVe siècle, s’est fortement ancrée dans la communauté juive de Turquie (provenant de l’expulsion d’Espagne), et est encore chantée de nos jours. Les paroles sont tirées des versets 5 et 6 du premier chapitre du Cantique des Cantiques. La vidéo qu’elle nous fait voir et entendre alterne deux interprétations.

Jean-Philippe a alors lu deux lettres tirées des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos : l’une de Madame de Volanges à la présidente de Tourvel, l’autre de Valmont à la même. Jean-Philippe apprécie beaucoup cette écriture sous forme de lettres provenant d’une dizaine de personnages, chacun avec sa voix. Michel dit alors que le libertinage amoureux de Valmont le fait penser à l’ouvrage Puer Aeternus de la psychanalyste jungienne Marie-Louise von Franz, dans lequel elle décrit l’incapacité à s’attacher de divers personnages de la littérature – Don Juan, évidemment, mais aussi par exemple Le Petit Prince – charmeurs au caractère volage. Sylvie dit que cette lecture lui fait penser au Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, fiction historique épistolaire de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows, qui se passe à Guernesey juste après la guerre.

Pour finir, et en écho à la discussion sur les classes à l’ancienne lors de l’anniversaire de Jean-Philippe, Françoise (P.) a parlé de À l’encre violette. Un siècle de vie quotidienne à la communale de Clive Lamming, en commençant par une citation de L’école de Jules Simon : « Le peuple qui a les meilleures écoles est le premier peuple. S’il ne l’est pas aujourd’hui, il le sera demain. » Il y a un siècle, on apprenait alors aux élèves qu’un bon élève est avant tout un bon patriote… Un autre extrait nous a informé du niveau croissant requis pour devenir instituteur, terme d’ailleurs disparu… Sujet bien connu de Jean-Philippe dont le frère est « instituteur, professeur des écoles, directeur d’école ». Quant à Michel, il s’est souvenu d’avoir visité avec François le musée national de l’éducation à Rouen, où l’on voit encore de ces classes avec encriers incrustés dans les pupitres. Françoise (P.) a évoqué les tenues des élèves d’alors – blouses, bérets… Jean-Philippe a rappelé que, dans les écoles rurales, jusqu’aux années 1960, les élèves, à tour de rôle, étaient de corvée pour nettoyer l’école et pour allumer la cheminée ou le poêle en hiver. Michel s’est demandé alors si on ne devrait pas y revenir, pour nettoyer au quotidien les écoles qui rouvriraient le 11 mai du fait de la pandémie… Françoise (C.) se souvient qu’avant la fin des vacances on nettoyait les tables avec de la toile émeri, puis on y mettait de la cire. François a rajouté qu’à la rentrée on offrait une pomme aux élèves, et qu’ils faisaient le ménage. Françoise (C.) a alors dit qu’en Chine et au Japon c’est toujours le cas : tous les matins, les élèves nettoient l’école.

Sur ce, après avoir levé le coude, on leva la séance.

29 avril 2020

Apéro virtuel XXXVIII : le Ramadan – la musique qui tue – la rose fleurit au mois de mai…

Classé dans : Actualité, Arts et beaux-arts — Miklos @ 10:30

Orgue de barbarie

Mardi 28/4/2020

François a présenté un sujet d’actualité pour certains : les pres­crip­tions de comportement durant le Ramadan, en d’autres termes, les interdits allant de l’aube au coucher du soleil durant ce mois. Citant un ouvrage du philosophe et théologien soufi Abû Ḥamid Moḥammed ibn Moḥammed al-Ghazālī (1058-1111), traduit en français sous le titre de Le Ramadan et les vertus du jeûne en Islam , il a détaillé ces interdits – principalement alimentaires –, et notamment ceux concernant la sexualité. Selon Jean-Philippe, ce que ces interdits visent, c’est éviter la rupture du jeûne qui serait plus importante que l’acte lui-même, ce que conteste Michel en faisant le parallèle avec les interdits durant les 25 heures de la fête juive du Grand pardon (ou Kippour), le jeûne (alimentaire) n’était que l’un de ces interdits et tous étant au même niveau d’importance, servant à la mortification de l’individu. François semble confirmer cette dernière opinion, comme quoi le jeûne dans l’Islam est un terme qui recouvre l’ensemble de ces interdits. Françoise (P.) a alors dit que chez les chrétiens, le carême n’est pas une mortification, mais une purification. Michel a rétorqué que l’un ne contredisait pas l’autre&nbp;: selon le Trésor de la langue française, la mortification est un « acte volontaire par lequel on s’inflige une souffrance corporelle ou morale dans un souci de pénitence ou d’élévation spirituelle », ce qui correspond donc aussi à la purification. Sylvie a dit avoir lu que le Ramadan était une période destinée à réfléchir sur soi, à stimuler la spiritualité, et la nuit tombée, avec la rupture du jeûne, une période de convivialité et de sociabilité. À ce propos, Françoise (B.) a entendu un imam sur France Culture expliquer que la dimension festive et festoyante du soir n’était pas correcte selon l’interprétation traditionnelle du Ramadan, c’était uni­quement pour rompre le jeûne mais pas pour s’empiffrer, selon ses propres termes. À une question de Françoise (C.), François a précisé que, si la reprise de toutes les activités interdites de jour (durant le Ramadan) était autorisée de nuit, certains préconisaient de s’abstenir de relations sexuelles durant tout ce mois-là.

Comme il s’était engagé à le faire, et puisqu’on venait de parler d’activités de mortification (mot dont l’étymologie signifie « mise à mort »…), Michel a parlé de la musique qui tue, en littérature (l’épisode de la « chanson qui tue » jouée par un orgue de barbarie dans Le Fauteuil hanté de Gaston Leroux), en musique (Michel a lu un extrait d’un texte qu’il avait écrit en 2005, où il parlait des effets mortifères de l’œuvre Finale du compositeur Mauricio Kagel sur les chefs d’orchestre qui l’avaient dirigée en concert) et au cinéma (avec le meurtre de Myriam sur un air d’orgue de barbarie dans L’Inconnu du Nord-Express de Hitchcock). Et puisque l’orgue de barbarie y est assez présent, Michel a terminé sa présentation avec la projection d’un bref historique de l’instrument, extrait du documentaire L’orgue de barbarie, la mécanique d’un autre temps. Un bref débat a suivi cette présentation : Michel avait remarqué que Gaston Leroux appelait la personne qui jouait de l’orgue de barbarie « vielleux », or la vielle à roue est un autre type d’instrument (à bourdon) que l’orgue de barbarie (à vent)… Il s’est avéré, lors de la rédaction de ce compte-rendu, qu’il y a bien une raison à cette confusion. La seule partie commune à ces deux instruments est la manivelle : du coup, Sylvie nous a montré une brochure concernant Riton la manivelle, qui se produit dans son quartier avec son orgue de barbarie, et nous a raconté une petite anecdote le concernant : alors qu’elle déjeunait en compagnie dans un restaurant où il se trouvait aussi, et discutait avec ses proches en hébreu, voilà qu’il se rapproche d’eux et leur lance, dans un parfait hébreu gouailleur, « Tous des nuls, sauf moi. » Il s’avère qu’il n’est pas hébraophone, mais avait passé un certain temps dans le Club Med à Elath, dans les années 1970, où il avait dû apprendre (surtout) ce type d’expressions.

Sylvie a alors parlé du romancero sefardi, ensemble très riche de chansons en judéo-espagnol (appelé aussi ladino ou djudezmo ou hakitia, voire spaniolit). Cette langue – toujours parlée – et le patrimoine musical qui lui est attaché se sont enrichis par des influences locales au fil des siècles d’exil des descendants des Juifs chassés d’Espagne en 1492 principalement dans les pays du pourtour méditerranéen (notamment Maghreb et Balkans). Elle nous a fait écouter La rosa enflorece (paroles et traduction ici) qui daterait du XIVe siècle et qui était interprétée par le trio vocal Unio. On trouvera sur le site de France Bleu quelques autres inter­pré­tations de leur répertoire, datant de l’émission France Bleu Touraine Live du 30 mars 2019. Michel a raconté que l’adjectif sefardi provient du mot « Sefarad », qui signifie « Espagne », en hébreu (et dénote les descendants des Juifs originaires de la péninsule ibérique), lui-même déjà mentionné dans l’Ancien Testament (livre d’Ovadia ou Abdias, I:20). Sylvie a parlé de l’interprétation de ce trio, qu’elle apprécie particulièrement et qui lui semble plus fidèle au style « d’origine » que celle, par exemple, d’Esther Lamandier, une des interprètes de chansons ladino (ainsi que de chants chrétiens araméens) que Michel (qui avait pris quelques cours avec elle) préfère.

Sur ce, après avoir levé le coude, on leva la séance.

28 avril 2020

Apéro virtuel XXXVII : absinthe – ODE 8400 – musiques félines – passé et futur du cinéma – instruments de musique extraordinaires – livre et silence…

Classé dans : Actualité, Arts et beaux-arts — Miklos @ 1:57

Lundi 27/4/2020

Jean-Philippe, grand spécialiste des apéritifs, s’était accompagné, cette fois-ci, d’une absinthe, dont la bouteille était décorée de multiple copies de l’autoportrait de Van Gogh. Comme le rappelle un article d’allodocteurs, « Vincent Van Gogh était un consommateur excessif d’absinthe, qui favorisait ses crises hallucinatoires. Il avait commencé à en boire à Paris sous l’influence, semble-t-il, d’Henri de Toulouse-Lautrec. Cette addiction l’a conduit à tenter d’avaler le contenu de ses tubes de peinture et du pétrole au cours de l’une de ses crises. » Après avoir discuté entre nous de sa composition, on est curieux de voir dans quel état sera Jean-Philippe au prochain apéro… Et s’il se mettait à nous lire l’annuaire téléphonique, a demandé Michel… ? À quoi il a répondu que ce pourrait être un Oulipo (sous-entendu : pas un dérangement de la ciboule, quoique certains pensent que les Oulipiens ont un grain quelque part). Dans une communication personnelle le lendemain, Françoise (C.) a parlé de la brasserie Rotonde (non pas celle de Montparnasse, mais l’autre), située dans l’immeuble où Verlaine avait vécu, et qui sert l’absinthe dans la plus pure tradition : fontaine à glaçon, cuillère etc… (ou, comme le précise leur carte : « absinthe fontaine old fashioned »).

De là, la discussion s’est poursuivie autour du téléphone. Sylvie s’est souvenue d’un exercice lors d’un stage de théâtre auquel elle avait participé, dans lequel elle – dans le rôle d’une adolescente qui avait fugué – et un autre comédien – dans celui d’un agent de police – devaient négocier (« – Je le dis à tes parents ! – Non ! »), mais en ne prononçant que des numéros de téléphone… de façon à ce que le public comprenne tout de même par les intonations de leurs voix et leurs attitudes corporelles. Comme quoi, tout ne passe pas que par les mots. Michel a alors rappelé (à ceux qui avaient connu cette période) que les numéros d’antan étaient composés de trois lettres (l’indicatif d’un quartier) et de quatre chiffres, ce qui avait un certain rythme qui « gravait » les numéros plus profondément dans la mémoire qu’actu­el­lement (d’ailleurs, ils se gravent plutôt dans les smartphones). Puis il a demandé aux présents s’ils connaissaient ce numéro de téléphone : BAL 0001 (qui se prononce « Balzac 00 01 »), et la réponse a été en fonction des générations présentes. Il a enfin essayé, en vain, de se rappeler de la réponse que lance, dans Le dernier métro, Catherine Deneuve à Gérard Depardieu qui la drague en lui demandant son numéro de téléphone – c’était ODE 8400 (« Odéon 84 00 », à dire d’une voix posée et grave) – il ne se souvenait que du 8400. Françoise (P.) a raconté qu’un des indicatifs étant « Taitbout », une bonne blague consistait à appeler un abonné de ce quartier, et lui lancer quand il répondait : « Taitbout ? Eh bien couche-toi ! ». Puis elle a aussi exprimé son regret de la disparition des numéros de départements sur les plaques minéralogiques : deviner les dé­par­te­ments occupait bien les enfants lors d’un voyage en voiture avec leurs parents.

Pour faire écho à la récente présentation de l’influence des métronomes sur les chats, Sylvie nous a alors parlé du Duo des chats attribué à Rossini, mais qui est en fait dû à plusieurs ingrédients probablement combinés par le compositeur anglais Robert Lucas de Pearsall (sous le pseudonyme de G. Berthold) : la Katte-Cavatine du compositeur danois Christoph Ernst Friedrich Weyse et deux extraits d’Otello de Giuseppe Verdi. Elle nous a alors montré un montage bout à bout de plusieurs interprétations de cette œuvre – par deux femmes, par une femme et un homme, par deux hommes… – dont une avec Montserrat Caballé, diversement appréciée par les trinqueurs du fait de son vibrato qui donnait à certains le mal de mer. De là, on a évoqué d’autres grandes cantatrices qui ont poursuivi leur carrière un peu trop longtemps au goût des uns ou des autres, à l’instar de Jessie Norman ou Barbara Hendricks.

Pour revenir à un des thèmes de ces derniers jours – le cinéma –, Françoise (P.) nous a parlé de cinéma et… covid. Habituée à aller au cinéma 2 à 3 fois par semaine, il lui manque beaucoup. Elle nous a lu un article de Jean-Michel Frodon publié dans Slate qui se demande si la crise du covid-19 est en train de tuer le cinéma : depuis sa création en 1895 par les Frères Lumière, il n’y a pas eu un seul jour sans qu’il y ait une séance de cinéma, même maintenant, quelque part dans le monde, mais des projecteurs continuent à s’éteindre pour des durées indéterminées. Les gens auront-ils envie de retourner au cinéma, de sortir de chez soi, « après », au vu des alternatives auxquels ils se sont habitués en confinement ? Dans la discussion qui a suivi, Michel s’est rappelé du cinéma Le Ranelagh, rue des vignes, où la projection du film se faisait de derrière l’écran et où il y avait des ouvreuses qui accompagnaient les spectateurs à leurs sièges. Jean-Philippe a alors mentionné qu’il y avait dans les salles de cinéma d’alors des classes de places – parterre, balcon, côtés –, comme au théâtre, au concert ou à l’opéra. Il a rajouté qu’il ne voit pas comment le désir de retourner dans les salles pourrait se développer, si l’on doit y venir masqué et s’asseoir à distance des autres spectateurs. Il se peut que dans le décon­finement, les cinémas réinstaurent un placement spécifique par places numé­rotées. `À propos de la crainte que les spectateurs évitent dans le futur les salles du fait de la disponibilité numérique des films, Sylvie a dit que cela lui faisait penser à l’émergence du livre élec­tro­nique : on avait dit qu’il tuerait le livre, mais cela n’a pas été le cas : lire un livre papier n’est pas la même expérience que de tenir ce livre papier dans ses mains (comme on l’avait d’ailleurs évoqué il y a quelques jours)anbsp;; de même, voir un film sur son smartphone n’est pas la même expérience que de le voir en salle. Michel fait aussi l’analogie avec manger seul chez soi ou en compagnie dans le restaurant. Jean-Philippe raconte que le dimanche précédant le confinement, il avait assisté à l’avant-première de La Bonne épouse avec Juliette Binoche : la salle, à l’UGC Gobelins, était pleine à craquer. Aura-t-on d’autres événements de ce type « après » ?

Michel, revenant à un autre des récents sujets, les instruments à musique, a montré un bref montage bout à bout d’extraits de trois vidéos : Resonant Chamber d’Animusic, Marble Machine Music de Wintergatan et Pïpe Dreams d’Animusic. Tous trois démontrant de façon « bluffante » des instruments extraordinaires, le premier et le troisième sont en fait des créations purement informatiques (de la société américaine Animusic), alors que le second est l’invention de Martin Molin (du groupe suédois Wintergatan) qui en joue ici ; c’est le premier modèle qu’il a conçu (un autre a suivi), après avoir vu les animations d’Animusic concernant leur « machine à billes ». Sa chaîne YouTube comprend de nombreuses vidéos montrant et expliquant son travail. Les instruments mécaniques existent depuis longtemps : Michel a rappelé le défunt musée d’instruments de musique mécanique sis impasse Berthaud (3e arrond.), où, dans les visites guidées, on pouvait jouer de certains de ces instruments merveilleux. Il a malheureusement fermé en 1994 (pour être remplacé par le musée de la Poupée, qui lui a fermé ses portes en 2017. Sylvie ayant mentionné Riton la Manivelle qui fréquente son quartier avec un orgue de barbarie, Michel a alors proclamé que l’orgue de barbarie, c’est « la musique qui tue ». Personne n’ayant compris cette remarque malgré l’indice qu’il a rajouté, « l’affaire Fualdès » (personne ne connaît plus les grands classiques), il a annoncé qu’il en parlerait demain. Françoise (B.) n’arrivait pas à se souvenir d’un film dans lequel elle associe l’orgue de barbarie avec une scène horrible. Ne s’agit-il pas du meurtre dans L’Inconnu du Nord-Express (1951) de Hitchcock ?

Et pour en revenir au livre, Jean-Philippe nous a lu un extrait de « Taciturio », cinquième des Petits traités de Pascal Quignard, qui débute par cette affirmation : « Le livre est un morceau de silence dans les mains du lecteur. Celui qui écrit se tait. Celui qui lit ne rompt pas le silence. » Cette lecture a suscité une vive discussion sur les rapports entre parole (dite) et mot (écrit). Michel a évoqué la lecture intégrale d’Albertine disparue de Marcel Proust par Jean-Laurent Cochet (décédé ce mois-ci du covid-19), performance extraordinaire à laquelle il a assité : qui eût cru qu’une telle écriture se prêterait à la lecture à haute voix ? Et pourtant. Françoise (B.) a dit que ses livres, sur leurs étagères, lui chuchotaient, certains allant même jusqu’à l’interpeler (et pourtant elle n’avait pas bu d’absinthe). Sylvie a raconté que, pendant la guerre, son père avait beaucoup voyagé en train en URSS. Dans le compartiment, il y avait un livre (en russe), dont chaque voyageur lisait à haute voix quelques pages puis le passait à son voisin pour qu’il continue. D’autre part, avant l’imprimerie, les scribes écrivaient les textes à reproduire sous la dictée d’un des leurs. Tout ceci démontre bien que le livre n’est pas un morceau de silence…

Sur ce, après avoir levé le coude, on leva la séance.

26 avril 2020

Apéro virtuel XXXVI : joyeux anniversaire !

Classé dans : Actualité — Miklos @ 23:45

Dimanche 26/4/2020

Jean-Philippe a fêté aujourd’hui son anniversaire, seul entre ses quatre murs, et ensemble avec ses proches et amis lointains grâce aux technologies de communication. Ainsi, nous le lui avons souhaité à l’aide des quatre Minions et en levant le coude plus d’une fois. De son côté, il nous a fait visiter ses pénates, puis montré des photos de sa tendre enfance, et ensuite donné la recette du fondant qu’il avait préparé ce matin, alors qu’il n’a pas révélé la composition de la tarte aux quatre fruits, préparée au même moment. Il a finalement allumé puis soufflé les huit bougies (non, il n’a ni 8 ans ni 80 ans) qu’il avait plantées dans le fondant.

Et puis, ce furent les souvenirs des uns et des autres, à commencer par Jean-Philippe : « Moi quand j’ai commencé à travailler, il n’y avait pas d’informatique pour les cadres, mais des sténodactylos. » Ses petits-neveux ne comprennent pas comment on « allait sur l’internet » (comme si c’était un trottoir) sans avoir des ordinateurs. Quand les ordinateurs sont arrivés, c’était toujours sans l’Internet (qui existait, pourtant) : il fallait se servir de disquettes pour échanger des documents avec sa secrétaire. Quant à Françoise (P.) qui avait commencé à travailler chez Publicis sous Maurice Lévy, elle y a connu des ordinateurs dès son arrivée. Pour Françoise (B.), le Centre Pompidou lui avait proposé un ordinateur en échange de sa secrétaire. Michel, qui avait commencé l’informatique bien avant tous les présents, avait connu les bandes de papier perforé, puis les cartes perforées. Il en reste de ces dernières à Sylvie qui nous en a montré un paquet.

De là, on est passé à la capacité mémoire des ordinateurs : celui sur lequel Michel avait commencé à travailler, qui faisait de la simulation de jeux de guerre en temps réel, avait 16 kilooctets de mémoire, alors qu’aujourd’hui pour faire les mêmes tâches il en faudrait des gigaoctets… Jean-Philippe a alors relaté une information – ou une légende urbaine, il n’en sait rien – selon quoi il y a plus de capacité mémoire et de vitesse de calcul dans un téléphone portable de nos jours que dans toute l’informatique embarquée dans un avion ou une fusée de la NASA des années 1960. Françoise (P) qui avait travaillé dans la reprographie pour la presse, a alors décrit la technique utilisée pour l’impression en couleur, qui nécessitait un traitement séparé pour les quatre couleurs de base. Jean-Philippe lui a alors demandé si la description de l’agence de publicité dans la série Mad Men lui semblait plausible, ce à quoi elle a répondu par l’affirmative.

De là, on est passé aux souvenirs concernant les tenues correctes requises au travail – bas pour les femmes – et à l’école – interdiction aux filles de porter des pantalons même en hiver, les garçons en culottes courtes même dans la neige… Et l’école a suscité d’autres souvenirs : concernant nos débuts dans l’écriture, la plupart ont connus le porte-plume, les plumes Sergent-Major et l’encrier incrusté dans le pupitre de l’écolier, pour passer ultérieurement au Stylo Bic, ce qui fut un choc culturel pour Jean-Philippe, autant que le passage du jeudi au mercredi comme jour où on n’allait pas à l’école. Françoise (P) s’est souvenue que sa sœur, enseignante, a adoré la suppression de l’estrade en 1968, ce qui a entraîné une discussion sur son utilité ou non.

L’apéro s’est terminé avec un dernier lever de coude et des vœux réitérés à Jean-Philippe.

Apéro virtuel XXXV : lettres persanes – notes japonaises – chanson vénézuelienne – instruments de musique peu ordinaires…

Classé dans : Actualité, Arts et beaux-arts — Miklos @ 10:24

Samedi 25/4/2020

En attendant l’arrivée d’autres participants, Jean-Philippe (qui était connecté du jardin public de Bordeaux) et Michel (qui assistait à un récital félin) ont échangé leurs opinions sur l’art d’intervenir de façon à ne pas lasser les autres, voire de les tenir en haleine.

Une fois Sylvie, Françoise (B.) et Françoise (P.) arrivées, Jean-Philippe nous a lu deux fort jolies Lettres persanes de Montesquieu, dans une édition des œuvres complètes datant de 1768. La première (lettre XXX) relate comment les Parisiens s’intéressent au Persan, auteur de la lettre, du fait de son étrangeté : soit par son accoutrement, soit par le fait de savoir qu’il venait d’ailleurs. Quant à la seconde (lettre XXVIII), elle décrit l’attitude des spectateurs assistant dans leurs loges à un spectacle – comédie, ou opéra -, attitude sans doute bien plus intéressante que ce qui se passe sur scène… Après cette lecture, on a évoqué des salles de spectacle – celle du Teatro San Carlo à Naples avec les miroirs permettant aux spectateurs occupant les loges de regarder discrètement vers la loge royale, celle de l’Opéra de Paris, avec ses loges fermées à clé…

Françoise (B.) nous a alors lu des extraits de la table des matières des Notes de chevet attribuées à Sei Shonago, dame de compagnie de la princesse Sadako au début du XIe s, notes non sans humour prises à la Cour du Japon. Françoise a poursuivi avec la lecture d’une note, « De l’utilité de porter à certaines occasions un habit sans doublure ».

El curruchá
Juan Bautista Plaza

A mi negra la quiero, la quiero
Más que a la cotiza que llevo en el pie
A mi negra la quiero, la quiero
Más que a la tinaja cuando tengo sed

A mi negra la quiero, la quiero
Más que a mi chinchorro que me hace soñar
Más que el penco alazán que en el pueblo
Mil lazos coleando me ha hecho ganar

Cuando baila mi negra un joropo
El amor zapatea por dentro de mí
Porque al son de la quirpa sin fin
Y al compás de puntera y talón
Con tal gracia mueve las caderas
Mi negra que me hace perder la razón
Curruchá, con tal gracia mueve las caderas
Mi negra que me hace perder la razón ?

Si a mi negra le clavo los ojos
Se pone más roja que un paraguatán
Cuya flor es incendio del bosque
Estación de abejas, licor de panal
Si me rozo con ella en el baile
Me sube al cogote un enorme calor
Porque hornalla e’ trapiche es mi negra
Que vuelve cenizas mi leña de amo?

Ensuite, Sylvie nous a montré la vidéo d’une inter­pré­tation très enlevée de El Curruchá, chanson populaire du Vene­zuela dans la tradition joropo, com­po­sée par Juan Bautista Plaza, paroles de Vicente Emilio Sojo. Donnée en tant que bis lors d’un concert de l’ensem­ble L’Arpeggiata (le 31 janvier 2012 à la Salle Gaveau) dirigé par Christina Pluhar, elle était inter­prétée ici par Vincenzo Capezzuto (alto et danseur pro­fes­sionnel) et la mezzo-soprano Luciana Mancini – qui en avaient donné d’autres inter­pré­tations – auxquels se sont joints ici (sans doute au dernier moment, ils ne connais­saient pas les paroles…) Lucilla Galeazzi (chan­teuse spé­cia­lisée dans le réper­toire tradi­tionnel italien), Raquel Anduezale (soprano) et le contre-tenor Philippe Jaroussky. Pour ceux que les paroles inté­res­sent (cf. ci-contre), c’est une chanson d’amour enflammé d’un homme pour son amie (ou femme ?) noire, à lui en faire perdre la tête.

Pour continuer dans la musique, Michel s’est concentré sur les instruments (de musique) inhabituels : le piano à chats (qui aurait existé au XVIe siècle), puis le métronome, dans une version quelque peu raccourcie du Poème symphonique pour cent métronomes du compositeur hongrois György Ligeti (1923-2006), suivi d’une autre vidéo montrant l’influence du métronome sur les chats (sans piano, cette fois). François a alors dit avoir vu un film où l’on avait fait un montage qui représentait un piano à chats…

Sur ce, après avoir levé le coude, on leva la séance.

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