Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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31 mai 2005

Labyrinthes : La vida es sueño

Classé dans : Littérature — Miklos @ 0:19

Malheur à toi qui montres tant d’or­gueil sans savoir que tu rêves (…).

Cela est vrai. Eh bien, répri­mons alors ce naturel sau­vage, cette fureur, cette am­bi­tion au cas où nous rêve­rions de nouveau. Et nous agi­rons ainsi, puisque nous habi­tons un monde si étrange où la vie n’est rien d’autre que rêve ; et l’expé­rience m’apprend que l’homme qui vit, rêve ce qu’il est, jusqu’à son réveil.

Le Roi rêve qu’il est un roi, et il vit dans cette illusion en com­man­dant, décré­tant et gou­ver­nant ; et la gloire qu’il en retire ne lui est que prêtée, elle s’inscrit dans le vent, et la mort, ô cruelle infor­tune, la réduit en cendres ! Qui peut encore désirer régner, sachant qu’il doit se réveiller dans le som­meil de la mort ?

Le riche rêve à sa richesse, qui ne lui offre que soucis ; le pauvre rêve qu’il pâtit de sa misère et de sa pau­vreté ; il rêve, celui qui triomphe ; il rêve, celui qui peine et brigue ; il rêve, celui qui outrage et offense ; et dans ce monde, en conclu­sion, tous rêvent ce qu’ils sont, mais nul ne s’en rend compte.

Moi je rêve que je suis ici, chargé de ces fers. En rêve, je me suis vu en une autre con­di­tion plus glo­rieuse. Qu’est-ce que la vie ? Un délire furieux. Qu’est-ce que la vie ? Une illu­sion, une ombre, une fiction, et le plus grand des biens est peu de chose, car toute la vie n’est qu’un rêve, et les rêves ne sont rien que des rêves.

Pedro Calderón
de la Barca (1600-1681)
La vie est un rêve

Je crois que cette phrase « la vie est un rêve » est strictement réelle. Seulement, il faut se demander s’il y a un rêveur, ou s’il s’agit sim­ple­ment d’un… comment dire ? un se rêver. C’est-à-dire s’il y a un rêve qui se rêve… le rêve est peut-être quelque chose d’imper­sonnel, com­me la pluie par exem­ple, ou comme la neige, ou comme le chan­gement de sai­sons. C’est quel­que chose qui arrive, mais cela n’arrive à per­sonne ; ce qui veut dire qu’il n’y a pas Dieu, mais qu’il y au­rait ce long rêve que nous pou­vons aussi appeler “Dieu”, si nous voulons (…).

Mon cau­che­mar le plus fréquent est le cau­che­mar du laby­rin­the (…). Donc je songe que je suis dans un lieu quel­con­que et, pour un motif inconnu, je veux sortir de ce lieu. Je parviens à m’échapper, mais je me retrouve dans un lieu exac­tement sem­blable, ou le même lieu. Cela se répète deux fois, et je sais alors qu’il s’agit du songe du laby­rin­the. Je sais que la scène va se répéter indé­fi­ni­ment, que cette pièce sera toujours la même, et la pièce conti­guë aussi (…). Ce que je dois faire, c’est toucher le mur, j’essaie de le toucher, mais je ne peux pas. En réalité, je ne bouge pas le bras, mais je rêve que je bouge le bras. Et au bout d’un moment, je me réveille en faisant un effort, ou bien — et cette appa­ri­tion est fré­quente aussi — je rêve que je me suis réveillé, mais je me suis réveillé dans un autre lieu, qui est un lieu onirique lui aussi, un lieu du rêve.

Jorge Luis Borges (1899-1986)
Borges en dialogues
avec Osvaldo Ferrari

3 commentaires »

  1. C’est, stricto sensu, le rêve de Narcisse – et de la faille qui n’est rien autre que l’iterface le séparant du miroir – que rêve Borgès. L’intérieur du labyrinthe est aussi l’image d’une incapacité à nous en sortir des contradictions entre nos désirs et les interdits qui nous font prendre les chemins du social pour, peut-être, les réaliser – ça et surmoi, si l’on voulait grossièrement nommer.

    Tout cela sonne furieusement bouddhiste, en tout cas mais encore trop barré de tristesse pour l’être vraiment. D’où vient-elle cette tristesse ? De ce "je" enfermé au labyrinthe onirique qu’il lui revient de créer et d’entretenir. Supprimez le "je" et que reste-t-il ? Peu. Un labyrinthe sans prisonnier n’est pas une prison.

    Le baroque, avec sa folie des affects et des êtres entremêlés à l’infini, n’est pas passé très loin de cette découverte-là, que l’homme n’est un je que par effet de structure. Mais c’était trop demandé à un esprit façonné par le christianisme d’Augustin que d’aller jusqu’à s’abondonner à un Dieu sans plus de limite que sa créature. D’où cet aboutissement du baroque dans l’ego cogito cartésien : s’il y a quelque chose de stable, c’est bien, au contraire, ce "je", en puissance de décider, avec l’aide de Dieu, de ce qui est et n’est pas, à l’heure où la science, en passe de se faire souveraine, fait se confondre réalité et effectivité – qui ne s’y serait trompé ?

    Commentaire par kliban — 31 mai 2005 @ 18:26

  2. C’est la réflexion sur la pièce de Genet qui soulève la question des rôles, et donc d’une part celle d’une vie rêvée (et par là cette de la réalité, dans un questionnement infini et sans réponse), et d’autre part, celle de l’identité (et des miroirs, qui renvoient une image démultipliée à l’infini mais toujours aussi énigmatique que l’original) et, par hasard (mais il n’y a pas de hasards) la lecture de ces entretiens de Borges qui m’a fait mettre ces deux citations en regard. En plus, la mise en scène du Genet me faisait penser au baroque et à ses jeux de miroirs labyrinthiques.

    Je doute que ce soit ce conflit dont tu parles (les jeux pervers de l’époque indiqueraient justement le contraire) mais plutôt l’impossible quête du sens, au-delà du "je", justement ; du moins pour ceux qui croient qu’il y a un tel sens.

    Ailleurs, Borges est interrogé justement sur son intérêt pour le bouddhisme.

    Commentaire par miklos — 31 mai 2005 @ 21:52

  3. [...] pour l’homme, tout est songe, illusion dans la vie : c’est un sommeil plus ou moins profond, que l’accoutumance nous [...]

    Ping par Miklos » Le réveil — 31 janvier 2011 @ 3:30

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