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13 décembre 2009

Les apparences sont parfois trompeuses

Classé dans : Musique — Miklos @ 11:37

« Haydn, Mozart, Beethoven, développèrent un art nouveau, dont le premier germe ne commença de poindre que vers le milieu du XVIIIe siècle. Si la sottise et la légèreté mésusèrent de la richesse acquise, si de faux monnayeurs prétendirent donner à leur pacotille l’apparence du bon aloi, ce ne fut point la faute de ces maîtres, en qui l’esprit se prodiguait si généreusement. » — E-T-A Hoffmann, « Ancienne et nouvelle musique d’église » (1814), in Écrits sur la musique. L’Âge d’homme, 1985.

Lorsque l’on assiste à un concert comprenant des œuvres de Mozart et de Brahms, on s’attend à entendre du Mozart et du Brahms. Eh bien, le concert qu’a donné hier le quatuor berlinois Kuss au Théâtre de la Ville a réservé quelques surprises sur ce principe.

Mozart, d’abord. On peut parfois se demander quelle influence a la femme d’un créateur sur l’œuvre de son mari. Dans le cas de cet « ange de la musique moderne, le Raphaël de la mélodie, l’enfant surnaturel, le jeune homme fauché dans sa fleur, mais après avoir exhalé dans cette fleur plus de chant céleste de son âme musicale qu’aucun chérubin mortel n’en répandit jamais au pied du trône de Dieu » (dixit Lamartine dans son Cours familier de littérature), on sait (d’une lettre de Mozart datant de 1782) que Constance s’était entichée de fugues – en particulier de celles de Händel et de Bach – et harcèle son mari pour qu’il en compose. Se plongeant dans la musique ancienne – à tel point qu’on peut dire qu’on distingue un changement stylistique dans son œuvre à cette période – il se lance dans la transcription de fugues du Clavecin bien tempéré, puis de l’Art de la fugue, et d’autres membres de la famille Bach. Il ne tarde pas à en composer lui-même : la Fantaisie et fugue en do majeur (K. 394), la Fugue en sol mineur pour piano à quatre mains (K. 401), la Fugue en do mineur (K. 426)… Le quatuor Kuss ouvre le concert avec trois préludes et fugues : ces dernières sont bien des transcriptions de Bach, mais les préludes semblent plutôt être des compositions originales de Mozart. Le résultat – était-ce dû à l’écriture, à l’interprétation ? – est assez convenu et plat : la forme de Bach, le style de Mozart, mais sans âme. Passons.

Le Quatuor n° 2 de Bartók s’ensuit (en le plaçant ainsi avant l’entracte, et non pas chronologiquement après le Brahms qui clôt le concert, on évite de perdre du public ; en plus, cela contribue à équilibrer les durées des deux parties du concert). Il contribue à réveiller l’audience de sa sieste post-prandiale : couleur, rythme, timbre, énergie, lyrisme, tout y est. Les dissonances doivent choquer quelques oreilles, et s’accompagnent d’ailleurs parfois d’un curieux sifflement (qu’on entend aussi dans le Brahms, et qui ne fait donc pas partie de l’œuvre – il n’y a effectivement pas d’ondes Martenot dans la partition) : matériel de salle défectueux ? problème d’appareil auditif ? On penche pour la dernière hypothèse, vu la démographie du public (celui des concerts classiques des samedis après-midi).

Aimez-vous Brahms ? Oh oui ! serait-il possible autrement ? Mais quand s’ouvre le Quatuor n° 3, on croirait entendre du Haydn… Ce n’est pas qu’on n’aime pas Haydn, mais quand vous commandez au restaurant un velouté de potiron et qu’on vous sert un gazpacho, il y a de quoi faire la tête. L’œuvre, longue, hésite curieusement entre classicisme et romantisme : on retrouve parfois les harmonies et surtout les sonorités chaleureusement enveloppantes de Brahms dans les registres bas, mais ailleurs on est dérouté, voire carrément déçu : le (premier) violon a alors une voix aigre et criarde et l’ensemble un problème d’intonation, la progression est laborieuse. Le quatuor n’est pas une formation qui va de soi (d’ailleurs, en menuiserie, il est plus facile d’équilibrer un meuble à trois pieds qu’à quatre, comme on l’avait déjà évoqué ailleurs), et après Beethoven, la gageure était immense.

Le public est enthousiaste et en redemande ; Mozart ou Bach, Brahms ou Haydn, tant que ce n’est pas du Bartók, who cares.

Un commentaire »

  1. [...] de Mozart pour trio à cordes (d’après Le Clavecin bien tempéré, pour les fugues – on a récemment relaté les raisons qui avaient poussé Mozart à en transcrire), qui ne sont pas parmi les œuvres les [...]

    Ping par Miklos » « Oh ! madame, les Bach sont connus de père en fils. » — 21 mars 2010 @ 21:38

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