Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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7 mars 2007

Le comble du sondage

Classé dans : Littérature, Politique, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 22:36

« Tu vois, Linda, jusqu’à il y a une quarantaine d’années, tout le monde votait. Lorsqu’on voulait décider qui serait le prochain Président des États-Unis, les Démocrates et les Républicains choisissaient chacun un candidat, et tout le monde était appelé à dire qui il préférait. Après le jour des élections, on comptait combien de personnes voulaient du candidat démocrate et combien voulaient du républicain, et celui qui avait obtenu le plus de votes était élu. Tu vois ? »

Linda fit un signe d’assentiment puis demanda : « Comment tout le monde savait pour qui voter ? Est-ce que Multivac le leur disait ? »

Matthew fronça les sourcils et dit d’une voix sévère : « Ils utilisaient leur propre jugement, c’est tout ».

Elle s’écarta, et il baissa la voix : « Je ne suis pas en colère, Linda. Mais tu vois, ça prenait parfois une nuit entière pour compter toutes les voix, et les gens s’impatientaient. Alors ils ont inventé des machines spéciales qui comparaient les quelques premiers votes avec ceux des années passées au même endroit. C’est ainsi qu’elles purent calculer ce que serait le scrutin final, et qui serait élu. Tu vois ? »

Linda fit un signe d’assentiment. « Comme Multivac ».

« Les premiers ordinateurs étaient bien plus petits que Multivac. Mais les machines devirent de plus en plus puissantes, et pouvaient déterminer le résultat avec de moins en moins de votes. Finalement, ils construisirent Multivac, qui est capable de se déterminer à partir d’un seul électeur. »

(…)

« Multivac considère toutes sortes de facteurs, des milliards d’entre eux. Un seul facteur est inconnu, et pour longtemps : c’est le schéma de réaction de l’esprit humain. Chaque Américain est soumis à l’effet de moule causé par tout ce que les autres Américains disent et font, par ce qu’on lui fait et ce qu’il fait aux autres. N’importe quel Américain peut être amené devant Multivac pour enquêter sur son état d’esprit. À partir de cela, la tendance de tous les autres citoyens sera calculée. (…) Multivac possède déjà la plupart des informations nécessaires pour déterminer le résultat de toutes les élections, nationales, régionales et locales. Il lui reste à vérifier certains états d’esprit impondérables, et il se servira de vous pour cela. Nous ne pouvons savoir quelles questions il vous posera, et il se peut qu’elles ne vous semblent pas faire sens. Il pourrait vous demander ce que vous pensez du ramassage des ordures dans votre quartier, et si vous êtes pour l’incinération centralisée. »

Isaac Asimov, The Franchise (1955)
in American Satire

Le riz-homme, ou l’ultime confusion des genres

Classé dans : Nature, Progrès, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 14:24

« …et ces grands arums à rhizomes comestibles. » — Gide, Voy. Congo, 1927.

Après la vache qui rit, l’homme qui riz : une société de biotechnologie californienne vient de recevoir l’autorisation du ministère américain de l’agriculture de planter un champ de riz, dans lequel on aurait introduit des gènes humains. Ceux-ci sont destinés à produire des protéines du type de celles que l’on trouve dans le lait maternel et dans la salive, et qui seraient utilisés dans des médicaments destinés à combattre la diarrhée.

Les végétariens deviendront-ils cannibales malgré eux ? On avait entendu parler de la Véritable et pathétique histoire du mariage de la Carpe et du Lapin, mais les noces du riz et de l’homme augurent-elle un avenir autrement plus radieux que celui du Meilleur des Mondes qu’Aldous Huxley avait imaginé dès 1932 ?

6 mars 2007

Douze étagères de livres…

Classé dans : Environnement, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 19:19
10 deca
102 hecto
103 kilo
106 mega (million)
109 giga (milliard)
1012 téra (billion)
1015 petta
1018 exa (trillion)
1021 zetta
1024 yotta (quatrillion)

NB : en anglais, billion, trillion,
quadrillion…
dénotent
109, 1012, 1015

…s’étendant de la Terre au Soleil : tel est l’équivalent du volume des contenus numériques produits en 2006, selon une étude effectuée par l’institut de recherche IDC à la demande d’EMC Corporation, une société se spécialisant dans le stockage et la gestion d’information. Ou, plus prosaïquement, 161 exaoctets ou trillions d’octets. Environ 2,5 gigaoctets par être humain – y compris bébés et sdf – ce qui ne semble pas énorme, vu la taille des clés USB actuelles. Mais ces données se rajoutent à celles créées précédemment et menacent de saturer nos moyens de stockage, estimés à 185 exaoctets en 2006 : en 2010, on en produira près d’un zettaoctet, tandis qu’on n’aura à notre disposition que 601 exaoctets d’espace en ligne. À cette époque, la dépense mondiale en technologie de l’information s’élèvera, toujours selon IDC, à 1,16 billions de dollars.

Si l’on commence à réfléchir – réchauffement climatique oblige – au recyclage de nos déchets, il serait grand temps de penser aussi au nettoyage des poubelles que deviennent nos disques durs, dont la capacité toujours croissante n’incite pas à une gestion économique personnelle, tout en encourageant les industries du stockage et de l’organisation de l’information.

Mais à qui servira toute cette information ? Il faudra des moyens d’une telle puissance (volume, rapidité, complexité) pour stocker, organiser, rechercher, analyser et utiliser ces données qu’il est probable qu’elles soient exploitées surtout par des puissances – étatiques ou privées – ayant une infrastructure informatique adéquate, comme celles qui se mettent déjà en place et collectent « toute l’information du monde ». Quelle sera la part des informations personnelles qui s’y retrouveront – familiale, santé, commerciale, bancaire, pénale… – et qui comprendra sans doute aussi les enregistrements des communications (électroniques, téléphoniques…), des caméras de vidéosurveillance…? Une toile (web, en anglais) d’araignée dans laquelle on se trouvera bien ligoté.

La question qu’on devrait se poser n’est pas tellement comment stocker, mais que stocker et pourquoi le faire.

5 mars 2007

Les mille et une façons d’écrire l’amour

Classé dans : Langue, Sciences, techniques — Miklos @ 17:03

La consultation des recherches effectuées sur le Web aboutissant sur ce blog est édifiante. Une des dernières en date, « Je suis recherche famme de la moure en Espagne » m’a incité à rechercher ces mots étranges dans le Trésor de la langue française informatisé. Les réponses sont intéressantes :

RESTIF DE LA BRET., La Paysanne pervertie, t. 2, p. 83: cette Famme [...] consumera la viscosité qui t’appesantit et te fait ramper.

1635 famme laide, comme un singe (MONET).

d’où j’en conclus que « famme » est une femme infâme à laquelle on ne déclare pas sa flamme, plutôt qu’une faute d’orthographe due à la flemme. Quant à l’autre mot :

Ca 1465 moure « marais » (Anonyme ds CHASTELLAIN, Œuvres, éd. Kervyn de Lettenhove, t.2, p.325).

qui a donné « moere » (subst. fém. régional, signifiant « marais »). L’internaute en question doit donc être à la recherche d’une femme de mauvaise vie dans les tourbières espagnoles. Je peux certifier qu’il ne trouvera pas cette information ici, et mets en doute la compétence linguistique du moteur de recherche qui l’a mené en ces lieux.

« Tout doit sur terre / Mourir un jour »

Classé dans : Musique, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 12:47

« …Mais la musique / Durera toujours », dit la chanson. Et, semblait-il, surtout ses droits. Mais ce ne n’est plus le cas : dans un arrêt du 27 février, la Cour de cassation a décrété que « la période de 70 ans retenue pour l’harmonisation de la durée de protection des droits d’auteur au sein de la communauté européenne couvre les prolongations pour faits de guerre ». En clair, on ne pourra rajouter des années (jusqu’à 14 !) dues aux faits de guerre aux 70 années suivant la mort des créateurs durant lesquelles leurs œuvres restent protégées et fournissent une rente à leurs héritiers, qu’ils soient de la famille ou non. La Cour casse une décision de la cour d’Appel qui donnait droit à l’ADAGP (société des Auteurs dans les arts graphiques et plastiques) dans sa revendication de ce mode de calcul qui aurait continué à protéger les œuvres de Claude Monet (décédé en 1926). Le SNE, de son côté, s’est « félicité du rejet du pourvoi de l’ADAGP », saluant « une victoire » vers l’harmonisation des droits d’auteurs.

Ouf, Courteline (par exemple) restera dans le domaine public. Et Ravel devrait y entrer le 1er janvier 2008 – ce sera donc aussi une victoire de la musique – et mettra fin à l’imbroglio des droits juteux que sa musique rapporte : rien que les dividendes du Boléro s’élevaient, selon Le Guardian à plus de 2 millions d’euros par an, se rajoutant aux droits des autres œuvres enregistrées et imprimées. À qui profite cette manne ? Ce n’est pas simple. Alexandre et Jeanne Taverne avaient été le chauffeur et l’infirmière d’Édouard Ravel (le frère de Maurice et son héritier) et de sa femme. Il semble qu’Édouard avait souhaité léguer 80% de ses droits à la Ville de Paris, mais il n’en a rien fait, laissant le tout à Jeanne Taverne. Ultérieurement, les Taverne auraient cédé une partie de leurs droits à une société, Arima (Artist’s Rights International Management Agency), établie dans un quelconque paradis fiscal par un ex directeur juridique de la Sacem, Jean-Jacques Lemoine, dont le premier client, après qu’il eut quitté la Sacem, fut Alexandre Taverne.

Comme quoi, la musique classique rapporte encore, surtout celle d’une génération de compositeurs bien aimés décédés dans la première moitié du siècle dernier. C’est le cas pour les œuvres de Serge Rachmaninov (1873-1943), selon le Arizona Daily Star : Alexander Temple Wolkonsky Rachmaninoff Wanamaker, dont la longueur du nom est inversement proportionnelle à l’âge (il a 21 ans), va hériter des droits de son arrière-grand-père, qui ont rapporté quelque 50 millions de dollars ces trente dernières années. Il compte établir une maison d’édition chargée de récupérer le contrôle sur les partitions et les manuscrits du compositeur, actuellement gérés par six sociétés distinctes, et de renouveler leur copyright. Pour ce faire, il leur faudra « arranger » les œuvres – que ce soit par l’entremise de corrections éditoriales, de rajout de commentaires, ou alors d’« arrangements » qui ne manqueront pas de changer la nature même des œuvres. Selon Keith Pawlak, il serait difficile de faire mieux que les éditions actuelles (de Dover), ce qui ne laisse que l’alternative transformiste.

L’industrie du disque, qui souffre de la diffusion numérique de la musique, s’est quelque peu rattrapée dans le domaine classique, curieusement, l’année dernière avec les intégrales Bach (155 CD, Brilliant Classics) et Mozart (170 CD, Brilliant Classics) à petit prix, comprenant des interprétations parfois inégales. On a aussi eu récemment droit au presque-tout Beethoven (50 CD, EMI Classics) – avec d’excellents interprètes – et au happy-hour Chopin (30 CD, Brilliant Classics)  ce dernier a bénéficié d’une innovation dans le packaging : « l’intégrale se trouve doublée, dans le coffret, d’une large anthologie (qui n’est pas une intégrale) d’enregistrements historiques, qui propose une sélection, arbitraire comme toute sélection, des enregistrements chopiniens parmi les plus beaux de l’histoire du disque ».

Quant à la musique qui reste sous droits et qui se multiplie sur l’Internet, le débat autour des DRM (dispositifs numériques de gestion des droits) n’a pas fini de faire couler de l’encre électronique. Steve Jobs, patron d’Apple, s’est fendu récemment d’une déclaration fracassante sur la problématique que ces dispositifs soulèvent – sans pourtant les supprimer d’iTunes. Entre temps, on apprend qu’Universal France va commencer à distribuer de la musique en ligne au format MP3 sans protection. Il y a tout de même un petit point qu’on a tendance à négliger dans ce débat : le format MP3 est de qualité moindre que celui fourni sur CD, lui-même moins bon que le vinyle, pour les audiophiles1. L’institut Fraunhofer, inventeur du MP3, vient d’ailleurs d’annoncer au dernier Midem le format MP3 Surround en flux. Utilisant une diffusion multi-canal, il donnera la sensation d’enveloppement sonore (ou de spatialisation) lors de l’écoute sur un système adéquat (de type 5.1) ; sur casque ou sur une paire d’enceintes, il se réduira à l’effet stéréo traditionnel, sauf si l’on utilise un logiciel fourni par Fraunhofer destiné à produire de la spatialisation virtuelle (binaurale). Tout ceci ne rajoutera pas à la qualité intrinsèque du son, mais uniquement à l’effet d’immersion dans l’ambiance sonore, ce qui risque de séduire plus le consommateur.


Note :
1 Il ne faut donc pas s’étonner d’apprendre que le label Testament, spécialisé dans les enregistrements historiques, vient de sortir le Ring de Wagner version Bayreuth 1995 sur vinyle : quatre coffres pour un total de 19 disques. Non seulement les interprètes (Hans Hotter, Wolfgang Windgassen, Astrid Varnay, Ramon Vinay, Josef Greindl et Paul Kuen) et le chef (Joseph Keilberth) sont excellents, mais le son aussi : enregistré à l’origine en stéréo par l’équipe technique de Decca dirigée par Peter Andry.

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