Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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23 mars 2008

Les faits et les méfaits du mail

Classé dans : Histoire, Littérature, Sciences, techniques — Miklos @ 16:31

« Courrier Le courrier désigne la cor­res­pon­dance écrite entre personnes, gé­né­ra­le­ment deux : un ex­pé­di­teur qui l’envoie et un des­ti­na­taire qui le reçoit. Ce sont des lettres ma­nus­crites mais aussi des cartes postales. On les envoie dans une en­ve­loppe, ou tel quel quand c’est une carte postale. » (Wikipedia)

La définition que donne la WP du mot « courrier » s’en tient à son accep­tion originale qui date du xive et qui est loin de refléter son sens actuel : « Ensemble des lettres, imprimés, paquets qui sont acheminés et distribués par les services de la poste » (TLF) ou par des services privés.

Elle ignore aussi les autres significations du terme : messager ou émissaire (et sa variante avant-courrier), rubrique d’un journal regroupant des communications (« courrier des lecteurs »), et par extension appellation de périodiques (Le Courrier picard, Le Courrier de l’Ouest, Le Courrier international…), etc. Ce dernier usage s’apparente à celui du mot « lettre » dans l’expression générique « lettre d’information » ou dans des titres de publications papier ou en ligne dont la diffusion est loin d’être limitée à une personne, telles que Les Lettres nouvelles de Maurice Nadeau, qui y aura publié pendant 25 ans des textes d’Antonin Artaud, Henri Michaux, Jacques Prévert, Raymond Queneau, Brassaï, Roland Barthes, Georges Bataille, Maurice Blanchot, Kateb Yacine, Arrabal, Claude Simon, Alain Robbe-Grillet, Michel Leiris, Boris Pasternak, Evtouchenko, Soljenitsine, Le Clézio, Alberto Moravia, John Cage ou Samuel Beckett (source : Le Magazine littéraire) – et pourtant, la WP française n’y consacre qu’une phrase.

La WP française n’établit pas non plus de lien entre la courte page qu’elle consacre à « Courrier » et ses contreparties en anglais ; le choix existe pourtant entre « Mail », qui désigne le transport d’objets de tous ordres, et « Courier » (un seul r) qui désigne la personne ou l’organisme chargé d’effectuer ce transport.

Signe des temps, l’entrée consacrée au courrier électronique est bien plus prolixe. Elle omet toutefois de mentionner le projet Uucp, développé au début des années 1980 dans le but de faciliter l’échange de courrier électroniques entre ordinateurs utilisant le système d’exploitation Unix et ce protocole de transport. C’est ainsi que nombre d’organismes français ont pu échanger des messages entre eux et à l’international avant l’arrivée de l’internet en France. Dans cet environnement, l’arobase n’était pas utilisée dans l’adresse ; Uucp utilisait le point d’exclamation (exemple : seismo!okstate!uokmax!uokucs!rcl – où « rcl » est l’identifiant du des­ti­na­taire, précédé de la liste des relais nécessaires pour le joindre à partir de l’ordi­nateur de l’expéditeur). Cette page ne rappelle pas non plus l’existence du réseau Bitnet (né aussi à la même période, mais pour des ordinateurs IBM, et plus tard pour d’autres environnements) qui permettait non seulement l’échange de courriers électroniques et la gestion de listes de diffusion (« Listserv »), mais aussi ce qui fut les premiers échanges directs en ligne (connus aujourd’hui sous le nom anglais de chat) et les tous premiers jeux de rôle (précurseurs des mondes virtuels apparus il y a quelque dix ans avec Active Worlds, donc bien avant Second Life) et notamment des Mud (« multi-user dungeon »), inventés en 1984 par deux étudiants de l’École des Mines de Paris, Bruno Chabrier et Vincent Lextrait.

Enfin, autre signe des temps, la WP française redirige « mail » vers « courrier électronique », ignorant tout de ses significations alternatives (et bien françaises, celles-là) de gros marteau en fer ou de maillet en bois et du jeu éponyme, ancêtre du croquet et du golf dont il possédait toutes les vertus qu’on attribue à son descendant british :

« Mais le jeu de lancer favori des élites dans la seconde modernité est sans nulle doute le pallemail ou mail, mêlant exercice et adresse, qui poursuit la carrière entamée au xvie siècle. Le jeu a envahi tout le royaume au milieu du xviie siècle, qui voit la création d’un corps de « palemardiers » ou maîtres de mail en 1668 à Montpellier. Les villes se dotent en périphérie de longues allées sablées, bordées de rangées d’arbres, dont l’appellation survit dans la toponymie contemporaine. On y emploie des boules de buis ou de néflier de cinq à six onces de diamètre et des mails de chêne vert – les plus réputés viennent d’Avignon –, dont le manche, proportionné à la taille du joueur, doit aller des pieds jusqu’à la ceinture. Le mail exige un parfait contrôle de l’attitude corporelle ; il faut jouer des reins, dit L’Encyclopédie, et pas seulement des bras, se mettre aisément sur la boule ni trop près ni trop loin, ne pas avancer un pied plus que l’autre, les genoux souples, les brase de même, “afin que le coup soit libre et aisé”. On joue au rouet – chacun pour soi –, ou en partie, c’est-à-dire par équipe. On peut aussi y jouer à la chicane, en pleine campagne, par les chemins. (…) Mais la version la mieux aimée aux xviie et xviiie siècles consiste à parcourir les allées uniformes des parcs aristocratiques, car “on peut en même temps jouer, causer et se promener en bonne compagnie”. Louis XIV s’y adonne depuis son enfance (…). Et la maison du roi compte parmi ses officiers plusieurs “porte-mail et billiard”, jusque sous le règne de Louis XV. C’est le meilleur des jeux pour la santé, affirme L’Encyclopédie (…), “il est propre à tous les âges, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse”. Il est également accessible aux femmes, ce qui contribue à son succès. » — Élisabeth Belmas : Jouer autrefois. Esssai sur le jeu dans la France moderne (xvie-xviiie siècle). Éd. Champ Vallon, 2006.

De là à ce que les nouvelles générations supposent que la rue du Mail à Paris, à Angers, à Nîmes, en Avignon et ailleurs doit son nom à quelque cybercafé plutôt qu’à un lieu où se réunissait les joueurs de mail, il n’y a plus qu’un pas à faire. Voici ce que dit Albin Michel de l’origine du nom de cette voie dans son Nîmes et ses rues en 1876 :

Le jeu de mail ou de pallemalhe était autrefois en grande faveur à Nimes, et l’on avait pris l’habitude d’y jouer sur tous les chemins qui aboutissaient à la ville, ce qui occasionnait souvent des accidents et des plaintes des propriétaires dont on détruisait les clôtures et dont on violait les propriétés, pour aller chercher les boules égarées. Aussi, en 1636, le sieur Jean Guirauden, lieutenant du prévôt des maréchaux au diocèse de Nimes, adressa-t-il aux consuls et au gouverneur de la ville une pétition pour être autorisé à établir un jeu de mail sur une terre par lui acquise du sieur Escudier, au quartier appelé Saint-Vincens. »

Le terme alternatif employé dans la pétition a donné en anglais « Pall Mall », qui, à l’instar du terme en français, a donné son nom à diverses rues et à une célèbre artère londonienne et pour des raisons similaires. Dans l’extrait de la pétition dont parle Albin Michel, on peut lire ce savoureux passage :

…en considération de ce que l’exercisse est honneste et permis, néansmoyns en la présente ville de Nismes (…) il n’y a aulcung lieu destiné pour led. exercisse, en telle sorte, que les plus grans et fréquans chemins abordans lad.ville comme celluy d’Abvignon, de Montpellier, Beaucaire, Arles et autres infinis chemins sont occupés par lesd. Joueurs aud. Pallemalhe ou pour mieux dire à la chicquane, dont le public et particuliers reçoivent une notable injeure et prejudice ; car, en premier lieu, pandan qu’on s’exerce en ses grands chemins, les passans, qu’elle hoste et affaires importans qu’ils aient, sont contrainctz s’arrester, voire mesme, qui pui est, s’ils s’opiniatrent à continuer leur chemin, courent fourtune d’estre offancés, ce quy es. Grandement préjudiciable au négosse et commerce de la dite ville ; d’alheurs ont fait pleuzieurs desgats et dommages aux maisons, bleds, vignes et jardins qui confrontent et abottissent lesd. Chemins, dont ordinairement les particuliers en font plaintes, pour les quelles faire cesser et autre incommoditez quy en arrivent et malheurs qui peuvent ensuivre, vouldrait ledit suppliant qu’il feust votre bon plaizir lui permettre faire faire ung jeu de pallemalhe en une etter qu’il a acquise jougnant les vieilles mazures de l’ancienne muralhe, cartier appelé Saint-Vincens, et icelluy approuver, sous les modifications, pactes et conditions cy apprès escriptes et les ordonnances et les réglemans au folhet cy attaché, et moyennant ce led. suppliant priera Dieu pour vos santés et prospérités.

À ces méfaits du mail d’alors, qui empêchaient les braves citoyens de vaquer à leurs occupations, succèdent ceux du mail d’aujourd’hui, où la vague croissante des spams (pourriels), des hoax (canulars) et des tentatives de phishing (hameçonnages frauduleux), qui atteint quelque 98% de tous les échanges électroniques, menacent de noyer les braves cybercitoyens qui prieraient bien quelque dieu pour qu’on les en débarrasse d’une façon ou d’une autre. À ceux qui se trouveraient du temps libre du fait d’avoir renoncé à utiliser le courrier électronique et qui souhaiteraient se perfectionner à ce jeu (ce qui ne manquera pas de calmer leur ire, aussi justifiée soit-elle), on ne saurait trop conseiller la lecture préliminaire de l’Académie Universelle des Jeux, Contenant les Règles des Jeux de Cartes permis ; celle du Billard, du Mail, du Trictrac, du Revertier, etc. etc. Avec des Instructions faciles pour apprendre à les bien jouer dans sa nouvelle édition de 1806, Augmentée du Jeu des Echecs, par Philidor ; du Jeu de Whist, par Edmond Hoyle, traduit de l’Anglais ; du Jeu de Tre-sette, du Jeu de Domino, de l’Homme de Brou, etc. etc.. Les règles concernant le jeu du mail se trouvent dans le second des trois tomes, p. 254-284 (cf. ci-contre). Son style ne manque pas de saveur pour le lecteur contemporain, jugez-en : « Il ne sera pas inutile de remarquer combien il est avantageux à ce jeu d’avoir de bonnes boules ; c’est le pur hasard de la nature qui les forme, et, s’il faut ainsi dire, qui les pétrit ; mais c’est l’adresse du Joueur habile, qui achève de les faire en les bien jouant, de les connaître pour s’en servir à propos. » L’ouvrage était disponible chez Amable Costes à Paris et Amable Leroy à Lyon, et dorénavant chez Gallica (quand ça marche et ne répond pas, poliment bien qu’en anglais, « Server temporary unavailable. The server is temporarily unable to service your request due to maintenance downtime or capacity problems. Please try again later. »).

Encycl. Antiq. On appelait un courrier public ou privé, chez les Romains, angarius ou angarus. Ce nom leur venait des Grecs, mais il était d’origine barbare. Bochart le dit arabe ; d’autres le croient persan. Les relations qui s’établirent par la guerre et le commerce entre les Grecs et les Perses firent adopter aux premiers les meilleurs usages des seconds, entre autres ce que nous appelons la poste. Les Grecs, en instituant des courriers publics à l’imitation des Perses, transportèrent dans leur langue un terme dont ils avaient besoin et reçurent ainsi de la Perse le nom et la chose. Ce fut de la Grèce que ce nom passa aux Latins, quand ils adoptèrent l’usage des courriers à l’imitation des Grecs. La politique des rois de Perse leur avait fait imaginer ces sortes d’officiers à cheval, messagers de leurs ordres, par lesquels ils étaient promptement informés de ce qui se passait dans les provinces les plus éloignées de leur vaste empire. Le besoin de communiquer entre eux a naturellement suggéré aux hommes des moyens de transmission très-divers. Cyrus, ou Xerxès, selon Hérodote, établit des courriers et des chevaux de distance en distance, et fut le premier instituteur de ce mode de communication. Ce serait donc au plus tôt vers l’an 536, et au plus tard vers l’an 485 avant notre ère, qu’on aurait commencé à avoir des courriers régulièrement établis, seulement toutefois pour le service particulier des rois. L’usage était de faire courir ces messagers à cheval durant toute une journée ; le premier courrier remettait ses dépêches à un autre, qui courait le jour suivant, et ainsi de suite jusqu’à destination. C’est ce qui leur fit aussi donner par les Grecs le nom d’hémérodromes, coureurs d’un jour. Suidas dit qu’ils parcouraient d’un trait 1,500 stades. On voit là, à l’état rudimentaire, l’origine et la première idée des postes.

La difficulté de charger un homme et un cheval de tablettes quelquefois assez lourdes suggéra au Romains l’idée d’atteler le cheval à un léger véhicule. Les courriers du temps de l’empire avaient le droit de forcer 1es particuliers ou les villes à leur fournir des chevaux ou des bêtes de somme, quelquefois des voitures, comme on l’apprend par le jurisconsulte Paulus, au mot Angaria. Cette obligation excita des plaintes réitérées de la part des provinces, et l’on dut à l’empereur Adrien l’abolition de cette servitude. La poste, si l’on peut ainsi parler, fut dès lors entretenue aux frais de l’Etat. Louis XI est le premier, dans les temps modernes, qui ait établi, par un édit de 1464, l’usage des postes, jusqu’alors inconnu en France. Il y ordonna le changement des chevaux de deux en deux lieues, à la différence des anciens qui n’en plaçaient qu’au bout de l’espace de chemin qu’un cheval pouvait faire par jour, et il fut ainsi le véritable inventeur des relais à court intervalle.

Pierre Larousse, extrait de l’article « courrier »
in Grand dictionnaire universel du XIXe siècle,
tome cinquième. Paris, 1869.

Lorsque l’enfant paraît

Classé dans : Récits — Miklos @ 11:39

Lorsque le dernier de ses enfants fut en âge d’aller à l’école, Patricia mit ses parents en vente sur eBay. Ils avaient encore toute leur tête, se déplaçaient sans trop de peine, et étaient susceptibles de rapporter gros, la demande croissante pour des grands-parents fonctionnels dépassant de loin l’offre. Mamy n’avait pas son pareil pour rasséréner le pire bébé hurleur sans abuser de spray calmant – quant à Papy, il était capable de faire fonctionner les gadgets pédagogico-électroniques les plus récents dont raffolaient ces chers petits qui s’en emparaient de façon obsessionnelle sans plus les lâcher jusqu’à épuisement.

Patricia n’avait rien à leur reprocher : jusque là, ils s’étaient fort bien occupés de tous ses bébés malgré le rythme croissant de leur arrivée qui avait atteint un tous les deux mois. À la naissance du premier, son mari l’avait quittée, et l’aide de ses parents avait été inestimable : si elle adorait le sourire et le gazouillement de son enfant, si elle tombait en admiration devant les petites bulles iridescentes qui apparaissaient sur ses lèvres après la tétée puis explosaient comme percées par une aiguille, elle n’avait aucune patience pour le nettoyer et le changer ou pour le prendre dans ses bras en tentant de calmer ses crises de pleurs et ses hurlements qui lui cassaient les oreilles.

Quand son fils eut un an, elle s’aperçut qu’il n’était plus si mignon que cela, et eut envie d’en avoir un autre. Elle ne pouvait se résigner à recourir à l’insémination artificielle : même si toutes les garanties étaient fournies, on ne pouvait vraiment être sûre du résultat. C’est alors que l’idée d’utiliser eBay lui vint à l’esprit : elle constata qu’on pouvait y effectuer un choix avec la précision qui avait été développée à l’origine pour les services de rencontre en ligne qu’elle avait utilisés pour se trouver un mari : les critères comprenaient non seulement le sexe, l’âge, la couleur de la peau, des yeux ou des cheveux (si le bébé en avait déjà) mais aussi son pedigree détaillé, les caractéristiques physiques, intellectuelles et sociales de ses parents et de leurs propres parents, qu’on pouvait consulter sur Facebook. Elle hésita encore : elle se souvenait du plaisir charnel qu’elle avait eu à sentir la vie naître en elle et s’y développer, de son poids croissant puis du labeur de sa naissance, mais elle avait hâte de tenir dans ses bras un poupon rose et souriant. Avec l’internet, elle l’aurait non pas dans neuf mois, mais 36 heures après l’achat, livraison garantie quel que soit le pays d’origine et possibilité de retour avec remboursement en cas de non satisfaction pendant les sept premiers jours.

C’est ainsi qu’elle s’était constitué sa pouponnière, que ses parents avaient gérée avec grande efficacité. En souvenir de la sensation exaltante qu’elle avait eu de nourrir son premier né avec son propre corps, elle avait fait appel à un chirurgien spécialisé qui lui avait installé un dispositif lui permettant de remplir ses seins d’une préparation lactée. Elle pouvait de nouveau allaiter de tout son saoul, et y trouvait autant de plaisir sensuel que chacun des bébés qu’elle rassasiait ainsi. Ils s’endormaient alors, repus et calmés. C’est le reste de la journée qu’elle les confiait à ses parents, ce qui lui permettait de vaquer à ses occupations variées qui n’avaient rien à voir avec sa progéniture. À eux les langes, les cris, les larmes et les bobos, à elle l’univers infiniment fascinant de Second Life peuplé de ses amis triés sur le volet.

Ce mode de vie avait son prix : le cours des nouveaux nés ne cessait de monter, et la nécessité de changer régulièrement d’appartement pour en trouver un plus grand qui correspondrait à la taille accrue de sa famille commençait à peser. C’est ainsi qu’elle se résigna à mettre un terme à son accroissement, ce qui lui permettrait de faire d’une pierre deux coups : elle n’aurait plus besoin de ses parents et leur vente rapporterait gros. Elle pourrait alors utiliser cette somme pour s’équiper du nouvel écran immersif, aussi fin que les films de plastique pour fours à micro-ondes, dont elle pourrait tapisser les murs et le plafond de son grand bureau, à l’instar du salon des Géants du Palais du Te à Mantoue qu’elle avait visité adolescente. Sauf qu’ici, ce ne serait plus des peintures immuables aussi splendides fussent elles, mais l’univers virtuel qu’elle se choisirait. Et une fois cette cagnotte épuisée, elle pourrait toujours commencer par vendre l’aîné de ses quinze enfants. Après, elle verrait bien.

22 mars 2008

Yī, èr, sān, sì, wǔ…

Classé dans : Actualité, Politique — Miklos @ 17:21

Non, je ne sais pas compter en chinois, mais apparemment je ne suis pas le seul. Dans la foulée des dramatiques événements qui ont lieu en ce moment au Tibet, l’agence Reuters rapporte : « A group of 29 Chinese dissidents urged Beijing on Saturday to open direct dialogue with Tibet’s exiled spiritual leader, the Dalai Lama, in the wake of rioting in the region », version reprise par Le Point. De son côté, l’AFP (cité par le Nouvel Obs) annonce : « Samedi, 30 écrivains, universitaires et militants des droits de l’homme chinois ont appelé le gouvernement à un dialogue direct avec le chef spirituel du bouddhisme tibétain et à laisser entrer des enquêteurs indépendants au Tibet. » Il s’agit probablement du même appel, et Reuters précisant les noms de l’écrivain Wang Lixiong et du dissident Liu Xiaobo, on serait plutôt tenté de penser qu’ils ont vu l’ensemble des signatures et sont arrivés à les compter correctement. Quoi qu’il en soit, on espère que le calme et la liberté se rétabliront dans cette région sans faire d’autres morts.

En parcourant la Wikipedia (3)

Classé dans : Sciences, techniques — Miklos @ 13:06

« Escape Artist Escape Artist Records est un label indépendant fondé en 1997 et basé en Philadelphie, aux Etats-Unis »

Outre les fautes de grammaire et de ponctuation, la liste des artistes du label est incorrecte (Ganglahia n’en fait pas, ou plus, partie – il semble avoir disparu totalement –, « Ken Mode » s’écrit « KEN mode ») et le lien sur 27 (le nom de l’un des groupes) mène vers la page consacrée à l’année 27 du calendrier julien… Ce n’est pas le cas de la page correspondante en anglais (qui n’est d’ailleurs pas liée à celle-ci).

« En avoir ou pas En avoir ou pas (en anglais, To Have and Have Not) est un roman fréquemment oublié d’Ernest Hemingway, paru en 1937. »

Cette entrée laisserait entendre que ce roman a été publié en français en 1937. Or il l’a été en 1945 dans la traduction de Marcel Duhamel (que l’on trouve curieusement mentionné souvent sous le nom de « Maurice Duhamel »), qui aurait mérité d’être mentionné dans ce contexte (dans la fiche que la WP française lui consacre, ce roman l’est). Ce livre est à l’origine du fameux film Port de l’angoisse de Howard Hawks (qui rapporte qu’Hemingway lui avait confié que c’était son plus mauvais livre) avec le couple extraordinaire Bogart et Bacall, dont la complicité ne se résumait pas qu’à celle qui perçait l’écran. William Faulkner – excusez du peu – a participé à la rédaction du scénario, et les répliques savoureuses, ironiques, sensuelles, en portent la griffe. Comment ne pas goûter la façon suggestive dont Slim (Bacall) dit langoureusement à Sam (Bogart) qu’il suffit qu’il la siffle pour qu’elle vienne : « You know how to whistle, don’t you, Steve? You just put your lips together and… blow. » (la pause d’un instant avant le dernier mot lui accorde une charge érotique assez puissante). Ou alors, lorsque, nonchalante, elle demande à Sam, le voyant porter dans ses bras Hélène de Bursac (Dolores Moran) évanouie : « What are you trying to do, guess her weight? ». Un film qu’on ne se lasse pas de revoir. Quant à la WP anglaise, la page consacrée à ce roman mentionne toutes ses adaptations cinématographiques (qui ont aussi une entrée à part), ce qui n’est pas le cas de la page correspondante en français.

« Godfrey Harold Hardy Godfrey Harold Hardy (7 février 1877 – 1er décembre 1947) est un mathématicien britannique de premier plan, lauréat de la Médaille Sylvester en 1940 et de la médaille Copley en 1947, connu pour ses œuvres en théorie des nombres et en analyse. Les non-mathématiciens le connaissent surtout pour deux choses (…) Des années plus tard, Hardy a cherché à supprimer le système Tripos comme il a estimé que cela devenait une fin en soi qu’être des moyens à une fin. Hardy est aussi crédité de sa réforme dans les mathématiques britanniques en leur ayant apporté la rigueur, qui avait précédemment une caractéristique de mathématiques françaises, suisses et allemandes. (…) »

Le triste charabia qui émaille la notice à propos de l’un des plus grands spécialistes de la théorie des nombres résulte d’une traduction littérale et de mauvaise qualité de l’article correspondant en anglais. On ne peut dire que cela apporte de la rigueur à la WP… L’article contient une anecdote sans intérêt si ce n’est qu’elle mentionne la célèbre hypothèse de Riemann, conjecture mathématique soulevée il y a bientôt 150 ans par Riemann et restée sans démonstration (ou réfutation) à ce jour : un prix de 1 millions de $ sera attribué à la personne qui y arrivera finalement. Ce que la page de la WP consacrée à ce problème (prise de la page anglaise) ne mentionne pas c’est qu’un étudiant britannique, Ce Bian, a franchi une étape probablement cruciale dans cette recherche, à l’aide d’un ordinateur (10 000 heures de calcul…) et de son directeur de thèse (qui, on le suppose, lui aura consacré moins d’heures).

« Prix Gémeaux Les Prix Gémeaux, créés en 1986, sont des prix qui récompensent chaque année les professionnels de la production télévisuelle francophone au Canada. Les Gemini Awards récompensent les productions anglophones. »

Cette définition est suivie d’une liste de 190 catégories (actuelles ou passées) de ce prix, chacune d’elle donnant lieu à une page souvent presque vide. On a vu ailleurs d’autres exemples de ce genre de prolifération (communes, villages, hameaux, sportifs, acteurs, films, groupes, disques…) produisant des entrées indigentes qui, si elles se trouvaient dans l’une des encyclopédies avec lesquelles la WP prétend se comparer, n’auraient pu assurer leur réputation. En ce qui concerne les films, rien n’égale – en exhaustivité, en détail des contenus ni en fonctionnalités – la célèbre base de données IMDb, qui comprend plus d’un million d’entrées (qui, à la différence de la WP, ont toutes du contenu) dont quelque 380 000 films et 480 000 épisodes de séries télévisées. À ceux qui recherchent des informations en français sur le cinéma, on conseillera Allociné, qui fournit, en plus des synopsis et de la distribution, les lieux et les horaires des séances. La WP ne peut s’y mesurer – comme elle ne le peut avec les bases de données spécialisées – elle devrait donc effectuer des choix bien plus clairs : moins d’articles, plus de qualité (= articles de fond, et pas uniquement une définition, ou, pire, une mention). Mais lorsque le critère de comparaison n’est que quantitatif (nombre de pages), il n’est pas étonnant que l’on veuille faire du chiffre. Ah, les trompettes de la renommée…

« Scientific Data Systems Scientific Data Systems, or SDS, was an American computer company founded in September 1961 by Max Palevsky, a veteran of Packard Bell and Bendix, along with eleven other computer scientists. (…) In December 1966 SDS shipped the entirely new Sigma series, starting with the 16-bit SDS Sigma 2 and the 32-bit SDS Sigma 7, both using common hardware internally. The rise of the 8-bit ASCII character standard was pushing all vendors to the 8-bit standard from their earlier 6-bit ones, and SDS was one of the first to enter this market.  »

La WP de langue anglaise donne – heureusement – un historique bien plus complet de ce constructeur informatique américain de premier ordre que ne le fait la WP française, dont la définition se résume à « SDS (Scientific Data System) est le nom d’une ancienne compagnie informatique américaine. » Cette dernière n’est d’ailleurs pas beaucoup plus prolixe au sujet d’Honeywell, dont l’activité informatique, non négligeable en son temps, fut vendue au groupe français Bull. Pour en revenir à l’ordinateur Sigma 2 de SDS, il est intéressant de noter (ce que ne fait pas la WP anglaise) qu’il comportait une mémoire vive de 32 Ko (aujourd’hui, il est courant d’avoir 1 Go dans son ordinateur, soit 32 000 fois plus), n’avait pas de mémoire externe (disques durs) et pouvait effectuer des tâches graphiques multi écrans et en temps réel grâce, d’une part, à son architecture novatrice et, d’autre part, à l’économie de moyens utilisés en programmation (en langages assembleur ou, plus rarement, Fortran). Là où la WP anglaise se plante, c’est en parlant d’« ASCII 8 bit » à son propos : double erreur, le codage ASCII nécessite 7 bits, et le Sigma 2 utilisait un codage différent, l’EBCDIC (sur 8 bits), qui avait été introduit auparavant par IBM.

Quelques textes précédents et suivants à ce propos :

• Wikipedia (28/9/2004)
• Le web comme hégémonie de l’amateurisme, ou Wikipedia sous les feux croisés (20/10/2005)
• Wikipedia redux, ou l’amateurisme a un coût (26/10/2005)
• La Wikipedia au Kärcher (12/12/2005)
• De musique, de numérique, de blogs, de Wikipedia et d’Amazon, de célébrité et d’authenticité (26/2/2007)
• Du rififi chez les Wikipediens (4/3/2007)
• Le parcours d’une star : d’étoile à supernova ? (12/10/2007)
• L’amateur, le savant, le contributeur anonyme et l’auteur (28/1/2008)
• Les faits et les méfaits du mail (23/3/2008).

19 mars 2008

Hewlett-Packard tombe dans le panneau

Classé dans : Sciences, techniques — Miklos @ 21:14

« J’attendrai le jour et la nuit
J’attendrai toujours… »

— Nino Rastelli (paroles, trad. Luis Poterat), Dino Olivieri (musique)

Nous entrons, dit-on, dans l’ère de l’éco­nomie des ser­vices. Mais pour le moment, ce sont plutôt des sévices. Et ce n’est pas par­ti­cu­liè­rement éco­no­mique, vu le temps qu’on y perd.Il y a bientôt un mois, j’achète une imprimante multifonction de la marque HP : ses caractéristiques me semblent correctes, la marque m’inspire confiance. Lors de l’installation, je constate que le panneau de contrôle est en anglais, et la documentation indique qu’il suffit de coller un cache correspondant en français, fourni avec l’imprimante. Or il n’était pas fourni.

J’envoie donc un courrier au support de la dite compagnie. La réponse que je reçois me demande de leur « apporter une liste de renseignements » – que j’avais tous fournis dans mon courrier – et mon adresse pour l’envoi du cache. Je m’exécute.

Dix jours plus tard, je reçois un courrier du support me demandant si le « dysfonctionnement sur ma machine » a été résolu. Je réponds que rien n’a été fait. HP me répond alors qu’ils vont envoyer un rapport au « service des experts ».

Encore dix jours passent. Je reçois alors une demande d’évaluation du service client de HP fournissant l’adresse d’un site qui me permettra d’« évaluer la qualité de cette récente expérience en matière d’assistance ». Ma première tentative de connexion à ce service échoue (« timeout » du service) et toutes les tentatives ultérieures indiquent que j’ai déjà répondu à cette enquête (dont je n’ai pas vu le début du commencement)… J’envoie une plainte au support des enquêtes.

Dix jours plus tard, je reçois par courrier un cache… en anglais, identique au panneau de l’imprimante.

Quelques jours passent encore. Près de deux semaines après mon dernier courrier, le support des enquêtes me répond qu’il faut que j’attende une heure avant de réessayer de continuer à remplir cette enquête. Je réessaie pour la forme, et reçois alors comme réponse que « cette enquête n’est plus disponible ».

J’attends toujours le cache en français.

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